Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 216

Variétes
II. La femme-auteur est une femme
Soumise à la puissance paternelle, puis à la puissance maritale (A), la femme-auteur, en raison de
sa capacité civile restreinte, ne peut que très rarement publier sans le consentement d'un homme (B).
A. Une femme soumise à la puissance paternelle et/ou maritale
Mineure19
ou mariée, la femme se voit soumise à une incapacité qui rejaillit sur son statut
. Devant la Chambre des députés, le principal
d'auteur. La condition de la femme-auteur mariée est d'ailleurs, dans les traités, assimilée à celle
de l'auteur mineur, étranger, failli ou condamné20
élément mis en avant pour conforter l'interdiction faite à la femme de publier sans le consentement
de son conjoint est la défense du nom de famille. En effet, observe Lamartine : « Quand la
femme se compromet, ce n'est pas seulement son nom qu'elle compromet, c'est celui de son mari
et l'honneur de ses enfants ». L'argument, souvent utilisé,21
auteurs choisissent un pseudonyme masculin pour faire carrière dans l'écriture22
Mais, derrière l'argument de la défense du nom de famille23
explique que beaucoup de femmes
. Il contribue
peut-être également à asseoir, au titre de la construction du droit moral, un « droit à la paternité »
de l'œuvre plutôt qu'un « droit à sa maternité ».
, se dissimule surtout une conception
très arrêtée du rôle de la femme. Elle est rappelée par Pouillet, devant la Chambre des députés :
« Aveuglée, éblouie peut-être par quelques flatteries plus ou moins sincères, (la femme) ne mesure
pas les dangers qu'il y a pour elle, pour sa famille, pour son mari, dans la publicité qui va s'attacher
à son nom. Les devoirs du foyer domestique doivent l'emporter sur les satisfactions de la vanité ou
de l'orgueil. La femme peut l'oublier. Il appartient au mari de la rappeler au sentiment de l'abnégation
». Selon Pouillet, même la réédition du livre publié avant le mariage par la femme doit être
19. Dans les traités, le statut de femme-auteur mineure ne suscite aucune difficulté d'ordre théorique, même si en pratique, il peut
s'avérer beaucoup plus préoccupant, ainsi qu'en témoigne la comtesse de Ségur demandant à son éditeur s'il accepterait de faire
paraître la traduction d'un roman de Tourguénief sans solliciter le consentement d'une jeune traductrice qui « aurait à lutter contre
des colères paternelles qu'elle n'ose affronter » (Lettre à Emile Templier du 6 mars 1861).
20. Gopper le souligne : « Le condamné lui-même qui, à raison des peines par lui encourues, est frappé de cette interdiction
légale qui a remplacé dans notre législation pénale l'ancienne mort civile, a le droit de se dire auteur de l'œuvre par lui exécutée
et possède ces droits d'essence purement morale et intellectuelle, que la jurisprudence reconnaît à tout auteur : droit d'estimer son
œuvre encore trop imparfaite pour être vendue ou livrée, droit d'apposer sa signature, etc. Il est évident que tout auteur possède
ces droits strictement personnels, qui s'attachent à lui en quelque sorte comme son ombre s'attache à ses pas. La femme mariée par
conséquent en jouira, seule, et à l'exclusion de tout autre, fût-ce de son mari... c'est la femme seule qui, en tant qu'auteur, est juge
de la question de savoir si son œuvre est suffisamment parachevée pour être soumise à l'appréciation des critiques, des amateurs
et du public ».
21. Nion : « Qui ne voit combien les conséquences de la publication d'un mauvais livre peuvent être plus graves et pour le patrimoine
et pour la réputation d'une famille, que l'acceptation d'une libéralité ? Nous pouvons donc argumenter à fortiori de la disposition de
l'article 934 du Code civil ».
22. Ceci fait écho au témoignage livré par George Sand dans ses souvenirs. On se souvient du dialogue entre la baronne Dudevant et
sa belle-fille George Sand : « Mais est-il vrai que vous ayez l'intention d'imprimer des livres ? - Oui, madame. Té ! s'écria-t-elle (...)
voilà une drôle d'idée ! - Oui, madame. - C'est bel et bon, mais j'espère que vous ne mettrez pas le nom que je porte sur des couvertures
de ? - Oh, certainement non, madame, il n'y a pas de danger ».
23. « Maintenant, elle ne s'appartient plus, son nom n'est plus à elle. Elle appartient au premier venu qui la voudra tenir sous sa critique
mal peignée, qui la voudra interroger, le chapeau sur la tête et l'injure à la bouche » (Janin, p. 381).
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