Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 310

Variétes
place dans les deux canots du navire ont survécu en recourant au cannibalisme109
. L'aventure du
Francis Mary, a marqué les esprits en 1827, grâce à la relation de l'une des survivantes qui but le
sang et dévora la chair de son fiancé mort, tandis qu'une autre survivante se sustenta avec la cervelle
d'un marin décédé et déclara que c'était la meilleure chose qu'elle ait jamais mangée110
xixe siècle connaît plusieurs tragédies maritimes, dont l'histoire se répand dans le grand public.
. Le
En France, le naufrage de la frégate Méduse suscite l'indignation tant par l'impéritie du capitaine
de Chaumareys que par l'abandon coupable d'une partie des naufragés qui durent survivre
sur un radeau de fortune grâce à l'anthropophagie et ont dû jeter à l'eau des malheureux en
une application factuelle de la planche de Carnéade111
de recourir au cannibalisme, aucune procédure n'a été envisagée contre eux112
. Alors que les survivants ont été obligés
. Il est vrai que
l'article 360 du Code pénal ne réprimait alors que la profanation de sépulture et non les atteintes
au cadavre en dehors du tombeau...
Si la théologie s'y refuse, le droit naturel admet aussi le sacrifice d'un être humain pour
nourrir les autres. Pour Pufendorf, la limite consiste dans la procédure utilisée113
. Il faut soit un
sacrifice volontaire, soit un tirage au sort parmi tous les survivants. S'il opère ici une distinction
subtile dans sa réflexion entre la planche de Carnéade stricto sensu et le cas du navire, Pufendorf
ne donne aucune explication en faveur de cette pratique, qui va vite devenir, selon l'expression
consacrée, une « coutume de la mer » qui émaille les récits de naufrages. Il est possible de considérer
que l'acceptation du tirage au sort fait planer le même risque sur tous les participants et
vaut consentement de la possible conséquence ultime, dans une véritable tontine inversée. De
manière traditionnelle, il s'agit d'un des très rares cas où le droit pénal a admis le consentement
de la victime. Encore qu'il serait possible d'argumenter sur la validité d'un tel consentement
en droit contemporain. Pufendorf s'appuie sur une jurisprudence attestée seulement dans un
ouvrage de médecine du xviie
siècle114
la chanson populaire Il était un petit navire au poème parodique Little Billee de Thackeray115
. Ce tirage au sort est intégré par la culture populaire, de
. Le
sacrifice volontaire est plus rare dans les sources, à l'instar du sacrifice d'un dénommé Lachau,
acceptant d'être égorgé par ses compagnons d'infortune rescapés de l'expédition française de
Floride en 1563. À l'inverse, l'union du groupe des marins contre une victime ou contre les passagers
est rarement attestée même si la pratique put exister. Le voyageur Richard Ligon relate
109. V. C.R. Clark, Women and Children last. The Burning of the Emigrant Ship Cospatrick, Dunedin (New-Zealand), 2006. Une telle tragédie
a évidemment inspiré les artistes, qu'il s'agisse de chansons comme la Fearful loss of fat sea de Charles Fox, quelques poètes, le
romancier James Sanders en 1976 pour Where lies the Land et un quartet à cordes en 1992, The Cospatrick Tragedy, dû au compositeur
Ivan Zagni.
110. Narrative of the Shipwreck and Suffering of Miss Anna Saunders, Providence, 1827.
111. Sur l'influence du naufrage de la Méduse dans la littérature, v. R. Mercier, « Le naufrage de la Méduse, Réalité et imagination
romanesque », Revue des Sciences humaines, fasc. 125, 1967, p. 53-65.
112. V. les relations de Corréard, Savigny, d'Anglas de Praviel et de Rang des Adrets, dans Relation complète du naufrage de la frégate
La Méduse..., Paris, 1968 ; pour une analyse v. en dernier lieu, J.-O. Boudon, Les Naufragés de la Méduse, Paris, 2016. Une partie des
occupants fut sacrifiée délibérément pour sauver les autres, application du principe de la planche de Carnéade, J.-O. Boudon, op. cit.,
p. 111.
113. S. von Pufendorf, De la nature et des gens ou Système général des principes les plus importants de la morale, de la jurisprudence et de la politique,
Amsterdam, 1706, t. 1, livre 2, chap. vi, « Du droit et des privilèges de la nécessité », p. 257.
114. Ce faisant, il reprend simplement les faits rapportés sur un naufrage à Saint-Christophe par le fameux docteur Tulp dans la partie
sur le jeûne de son ouvrage de médecine, N. Tulp, Observationum Medicarum, libri tres, Amsterdam, 1641, p. 81.
115. V. aussi, P. Caodwell, « Cannibal Ballads : Not Just a question o Taste... », Folk Music Journal, vol. 9, n° 5, 2010, p. 723-747.
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