Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 34

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Son dernier ouvrage en date, Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ?, défend éhontément,
à l'heure où Donald Trump s'accroche contre vents, marées et évidence électorale, à son statut
présidentiel, et où les discours complotistes empoisonnent le débat public, le « droit de raconter
des histoires ». Ses fictions théoriques l'entraînent ainsi souvent dans des directions apparemment
absurdes ; mais ce n'est pas bien grave, car, comme il l'a montré à plusieurs reprises, à propos
de Freud ou d'Hannah Arendt notamment, c'est souvent en explorant des prémisses fausses ou
en partant d'observations erronées qu'on construit les hypothèses les plus pertinentes. De même,
ses livres entraînent le lecteur ou la lectrice dans des directions très variées - de la critique littéraire
aux sciences humaines (psychanalyse, histoire, philosophie, sociologie), de la physique quantique
(Il existe d'autres mondes, 2014) à la casuistique éthique (Aurais-je été résistant ou bourreau ?, 2013 ;
Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?, 2015) ; et, là non plus, ce n'est pas bien grave, puisque, comme le
proclame Le Hors-sujet. Proust et la digression (1996), parler d'autre chose c'est toujours en revenir au
sujet principal.
Et notre sujet, ici, c'est Pierre Bayard. Son livre sur Choderlos de Laclos, Le Paradoxe du menteur
(1993), m'a suffisamment alertée sur l'impossibilité de démêler le vrai du faux, les fictions de la
réalité, pour que je ne cherche pas à le représenter autrement que par l'indécidabilité constante
de sa posture humoristique. Pierre Bayard citoyen a certes à cœur d'exprimer clairement ses
positions, et une partie moins connue de ses recherches académiques, qu'il mène dans le cadre du
CIREMM (Centre international de recherche et d'enseignement des meurtres de masse), qu'il a
fondé en 2014 avec sa collègue Soko Phay, reflète le sérieux de son engagement contre la violence
politique et les crimes des dictatures ; mais, quand le cadre s'y prête, Pierre Bayard, l'interlocuteur,
déjoue toute tentation de componction, et est aussi facétieux et pince-sans-rire que ses narrateurs
(qui lui ressemblent peut-être finalement plus qu'il ne veut bien l'avouer).
Les thèses défendues dans ses essais, qui prennent le contre-pied des évidences communes, sont
comme les verdicts en seconde instance, au tribunal : des fictions en appel, argumentées, tantôt
rationnellement, tantôt rhétoriquement, qui déstabilisent profondément les jugements hâtifs qui
avaient cours jusque-là, mais qu'il ne tient qu'au lecteur ou à la lectrice d'évaluer à son tour,
si besoin, au sein de la cour suprême de son esprit. Qu'on accepte provisoirement pour vraies
(pro veritate habetur), histoire de voir où elles nous emmèneront, afin de progresser dans l'enquête,
avant de mener à nouveau, soi-même, l'instruction. Chez Pierre Bayard comme dans la tradition
philosophique, le goût du paradoxe est avant tout une invitation à penser, une façon de stimuler
l'activité spéculative des lecteurs et lectrices.
Dans sa critique policière (Qui a tué Roger Ackroyd ?, 1998 ; Enquête sur Hamlet, 2002 ; L'Affaire du
chien des Baskerville, 2008 ; La Vérité sur « Dix Petits nègres », 2019, réédité en La Vérité sur « Ils étaient
dix », 2020), des enquêteurs, que le « vrai » Pierre Bayard dénonce comme paranoïaques, viennent
brillamment démontrer que les crimes relatés dans les œuvres de fiction n'ont pas pu être commis
par les coupables qui y sont désignés ; ils reprennent alors l'enquête et en proposent la solution
définitive. Leurs conclusions, aussi catégoriques qu'étayées, sont remarquablement convaincantes ;
et on aurait envie de les croire naïvement, si nous n'avions pas été persuadé.e.s, exactement, de la
même façon, lorsque nous avions lu les romans, par ces Sherlock Holmes et Hercule Poirot dont
les avatars de Pierre Bayard viennent de ruiner la crédibilité. Bref, les contre-enquêtes de Pierre
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Droit & Littérature - Numéro 5
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