Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 157 - La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone - 379

LA NATION PLURICOMMUNAUTAIRE COMME SOCIÉTÉ POLITIQUE ALTERNATIVE
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a) L'exemple espagnol
909. En Europe occidentale, le premier pays qui impulsa le mouvement de
mutation de la nation monocommunautaire à la nation pluricommunautaire, qui
passe de l'indifférence constitutionnelle à l'égard de la pluralité communautaire à
sa reconnaissance est l'Espagne avec sa Constitution de 27 décembre 1978. À l'instar
des autres pays ouest-européens, les premières constitutions modernes espagnoles
(19 mars 1812, 18 juin 1837, du 23 mai 1845, 6 juin 1869, 30 juin 1876 et du
9 décembre 1931) ne reconnaissent qu'une identité politique collective : la nation
espagnole. Celle-ci est constituée des Espagnols à l'exclusion de toute communauté
politique intermédiaire comme en disposait l'article premier de la première
constitution libérale dite de Cadix en date du 19 mars 1812 : « la nacion espanola
es la reunion de todos los espanoles de ambos hemisferios ». L'affirmation constitutionnelle
d'une nation espagnole mono-identitaire n'était que la traduction juridique
de la volonté politique d'une Monarchie espagnole (sur cette question, la
monarchie libérale et sur la même ligne que la monarchie absolue), qui depuis la
Reconquista, tentait d'homogénéiser culturellement (par la langue castillane et la
religion catholique) les populations situées dans les limites territoriales de sa souveraineté.
Mais si la volonté d'uniformisation culturelle ou « castillanisation »
enregistra plus de succès, au-delà des Pyrénées, c'est-à-dire avec la Monarchie
française, elle connaîtra moins de réussite en Espagne. En effet, elle se heurta à une
puissante résistance identitaire de la Catalogne, du Pays basque et de la Galice. Le
modèle de la nation monocommunautaire, qui ne reconnaît que la nation espagnole
et les Espagnols (la nacion espanol y los espanoles), connut un début d'inflexion
vers la reconnaissance de la diversité culturelle de la population avec la
Constitution républicaine du 9 décembre 1931. En atteste la conciliation que le
constituant espagnol opère (article 4) entre l'établissement du castillan comme
langue officielle de la République et la reconnaissance de langues régionales ou
provinciales : « el castellano es el idioma oficial de la Republica. Todo espanol tiene
obligacion de saberlo y derecho de usario, sin perjucio de los derechos que las leyes
del Estado reconozca, a las lenguas de las provincias o regiones (...)107
». Mais la
réformation décisive de la forme de la nation espagnole en nation pluricommunautaire
interviendra avec la Constitution du 27 décembre 1978. Contrairement à
ses prédécesseurs, fidèles à la forme unitariste de la nation, indifférente aux fortes
identités collectives constitutives de la population espagnole, le pouvoir constituant
de 1978 entame son préambule par la reconnaissance des « peuples
d' Espagne » comme composants de la nation espagnole : « la nation espagnole,
souhaitant établir la justice, la liberté et la sécurité et promouvoir le bien de tous ceux
qui la composent, proclame souverainement, sa volonté de : (...) de protéger tous les
Espagnols et tous les peuples d'Espagne dans l'exercice des droits de l'homme, de
leurs cultures et de leurs traditions, de leurs langues et de leurs institutions ; ... ». Le
préambule est confirmé par le deuxième article108
de la Constitution qui tout en
107. Article 4 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 : « Le castillan est la langue
officielle de la République. Tous les Espagnols ont l'obligation de la connaître et le droit de l'utiliser, sans
préjudice des droits que les lois de l'État reconnaissent aux langues des provinces ou des régions. Sauf
dispositions parues dans des lois spéciales, ni la connaissance ni l'utilisation d'une langue régionale ne
pourront être exigées ».
108. Article 2 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 : « La Constitution est fondée
sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle
reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité
entre elles ».

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