Hors collection - 150 ans de la faculté de droit de Bordeaux, quel héritage doctrinal ? - 46

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Jacques Ellul : du droit romain à l'écologie politique
VII - PENSER LA CATASTROPHE
« Nos moyens prenant la taille du globe, nos catastrophes seront cosmiques »,
écrivait son ami Bernard Charbonneau. L'œuvre d'Ellul nous a aidés naguère à
comprendre la catastrophe de Fukushima comme elle peut nous aider à saisir les
raisons d'une pandémie mondiale. L'explosion de la centrale nucléaire japonaise
illustrait d'autant mieux la fragilité de la puissance technicienne qu'elle eut lieu
dans un des pays à la pointe de l'innovation technique. À la lueur de la tragédie
multidimensionnelle vécue par le Japon en mars 2011, on peut relire ce qu'écrivait
Ellul dans son livre Le bluff technologique (1988) : « Il faut partir de cette constatation
générale de notre temps que, en cas de grave accident, de catastrophe naturelle
ou artificielle provoquée par la technique, il n'est jamais possible de trouver la
réponse adéquate. Ni au point de vue technique ni au point de vue économique.
(...) Personne ne veut accepter l'idée que la technique nous a effectivement placés
au milieu de centaines de volcans ». Avec le nucléaire, selon Ellul il faut renverser
l'adage populaire et considérer le pire comme toujours possible. Depuis les accidents
nucléaires de Tchernobyl et Fukushima, avec les épidémies de VIH-1 et de
SARS- CoV-2 nous devrions pourtant tous savoir que le seul élément prévisible
est l'imprévisible. La pandémie de Covid-19 a grippé, si l'on ose dire, le moteur
d'une économie planétaire se croyant à l'abri de ces calamités jugées d'un autre âge.
Obsédées par la vitesse, hyperconnectées, interdépendantes et fonctionnant sur un
mode réticulaire, nos puissances techniciennes ne sont- elles pas des colosses aux
pieds d'argile ? Il nous fallait donc ce cataclysme pour réaliser toute la folie d'un
monde où pour l'essentiel l'on consomme ce que l'on ne produit pas et où l'on
produit ce que l'on ne consomme pas. Il fallait donc que la maladie frappe une
lointaine province chinoise pour que nous réalisions que près de 80 % des principes
actifs de nos médicaments provenaient d'Asie. Pour le meilleur mais aussi pour le
pire notre monde fait système. La catastrophe de Fukushima a eu des répercussions
directes sur la politique énergétique de l'Allemagne puisqu'elle a conduit Angela
Merkel à proclamer la sortie du nucléaire. Que la Chine « s'enrhume » à Wuhan
et nous voici quelques semaines plus tard confinés dans nos appartements. On
se souvient alors de Jacques Ellul décrivant le système technicien comme « un
ensemble d'éléments en relation les uns avec les autres de telle façon que toute
évolution de l'un provoque l'évolution de l'ensemble et que toute modification
de l'ensemble se répercute sur chaque élément16
». C'est toujours au nom de la
recherche de la plus grande efficacité - la définition de la technique moderne selon
16. J. Ellul, Le Système technicien, Calmann- Lévy, Liberté de l'Esprit, Paris, 1977, p. 88 ; réédition Le
Cherche Midi, Documents, Paris, 2012.

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