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Jacques Ellul : du droit romain à l'écologie politique
Gigantisme, c'est- à-dire concentration de la production, du capital, de l'État et
de la population. Dans la ville moderne, les exigences initiales de la nature sont
remplacées par des contraintes (in)humaines encore plus pesantes : « Lorsque
l'homme se résigne à ne plus être la mesure de son monde, il se dépossède de
toute mesure20
». Il convient donc de mettre l'économie au service de l'homme et
non l'inverse. Dès le milieu des années 1930, Ellul pense la technique moderne
comme un procédé général et non comme un simple moyen industriel symbolisé
par le recours à la mécanisation. Déjà le concept ellulien de technique dépasse la
simple critique du machinisme telle qu'on la retrouve chez Georges Duhamel21
et sous une forme plus subtile chez Robert Aron et Arnaud Dandieu22
,
. Il continuera
de parler de « technique » et non de technologie puisqu'étymologiquement la
technologie (technè, logos) désigne le discours sur, ou l'étude de, la technique. Le
progrès technique engendre, selon Ellul, un phénomène de prolétarisation généralisée,
qui dépasse la seule dimension économique analysée par Marx, et concerne
tous les hommes ainsi que tous les aspects de leur vie. Comme il le démontrera
plus tard dans La Technique ou l'enjeu du siècle (1954), le progrès technique se
caractérise par son « ambivalence » et non par son ambiguïté car, nous dit- il, la
technique moderne n'a rien de flou. Le progrès technique est ambivalent car il
libère autant qu'il aliène. La technique occidentale crée des problèmes aussitôt
qu'elle en résout et elle s'accroît d'elle- même par les solutions qu'elle apporte.
Parler d'autoaccroissement signifie que dans le cadre d'une société technicienne,
tous les problèmes humains sont transformés en problèmes techniques et que la
technique crée de nouveaux problèmes auxquels on essaie d'apporter systématiquement
des solutions techniciennes. Ellul n'est pas opposé à la technique, en
soi, mais à son autonomie et à sa sacralisation. Il préconise une « réorientation de
la technique » afin que les travaux pénibles puissent être effectués dans le « secteur
collectif » sous forme de « service civil ». Son approche de la technique est celle
d'un historien doublé d'un sociologue et non d'un philosophe. Il ne s'oppose pas
à la technique pour des raisons ontologiques. Non seulement il est réducteur de
le qualifier de « technophobe » mais c'est refuser de prendre en compte l'aspect
diachronique de son œuvre. Au milieu des années 1930, n'affirmait- il pas, on l'a
vu, que la technique moderne qui avait favorisé l'émergence de régimes totalitaires
pouvait jouer en sens contraire et devenir un instrument de libération23
?
20. B. Charbonneau et J. Ellul, « Directives pour un manifeste personnaliste », Présentation et annotation
de l'édition originale ; P. Troude- Chastenet, Revue française d'histoire des idées politiques, n° 9,
1er
semestre 1999, p. 159-177.
21. G. Duhamel, Scènes de la vie future, Mercure de France, Paris, 1930, Points/Seuil, 2018.
22. R. Aron et A. Dandieu, Le Cancer américain, Rieder, Paris, 1931, L'Âge d'Homme, Genève, 2008.
23. J. Ellul, « Le fascisme, fils du libéralisme », Esprit, n° 53, 1er
févr. 1937.
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