Hors collection - 150 ans de la faculté de droit de Bordeaux, quel héritage doctrinal ? - 50

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Jacques Ellul : du droit romain à l'écologie politique
l'homme à l'État Moloch, « c'est là l'œuvre satanique dont il a été l'agent dans le
monde27
». Pour le vaincre, les Alliés ont employé ses méthodes. Sa défaite militaire
a masqué sa victoire politico- morale. Nous nous orientons inexorablement vers la
dictature (absolutisme de l'État, primauté des techniciens) et vers le totalitarisme
universel. En 1945, Ellul ne voit pas de moyen politique ou technique pour enrayer
ce mouvement, ce qui ne signifie pas qu'il prône l'apolitisme « signe grave d'une
mentalité préfasciste ». Au contraire, selon lui, « ce que la démocratie commence
en provoquant le dégoût de la politique, la dictature l'achève en éliminant cette
préoccupation28
». Cette vision sombre, pour ne pas dire désespérée, est à mettre
en perspective avec celle proposée en 1982 dans le dernier chapitre de Changer de
révolution : « Vers la fin du prolétariat ? ». Incontestablement, il donne ici l'impression
d'ouvrir une porte alors qu'on lui a reproché toute sa vie d'être un prophète
de malheur, un puritain pessimiste contempteur du progrès technique et de la
modernité sous toutes ses formes. Un puritain qui, notons- le, affirmait qu'il était
possible de travailler seulement deux heures par jour pendant trente ans ! Après
avoir montré comment la société technicienne produisait de nouvelles formes
de prolétarisation - au prolétariat décrit par Marx il ajoutait un « prolétariat de
misère » composé de chômeurs, d'immigrés et de divers marginaux ainsi qu'un
« prolétariat culturel » comprenant toute la population à l'exception de l'aristocratie
technicienne -, Ellul affirmait que tout n'était pas perdu. L'essence du socialisme,
c'est- à-dire l'abolition du prolétariat et la fin de l'aliénation, reste un objectif
permanent en dépit des moyens viciés utilisés jusqu'à présent pour l'atteindre. En
dépit des caricatures qui en tiennent lieu dans le monde, « le socialisme est la seule
orientation politique possible29
». Mais pas n'importe lequel ! Ni celui des régimes,
», sur « l'austérité révolutionnaire31
pas même celui des partis, socialistes. Un socialisme ascétique, fondé non sur la
privation mais sur « l'abondance frugale30
»,
pour reprendre la terminologie du Parti communiste italien du temps d'Enrico
Berlinguer32
, sur le refus de la puissance technicienne. Un socialisme de la liberté
et, en même temps, un socialisme révolutionnaire. Ellul est conscient d'utiliser
27. J. Ellul, « Victoire d'Hitler ? », Réforme, 23 juin 1945, n° 14.
28. J. Ellul, « Le mécanisme totalitaire », Réforme, 31 août 1946, n° 76. On trouvera d'autres illustrations
de ce point de vue in « Le réalisme politique. Problèmes de civilisation III », Foi et Vie, nov.-déc. 1947,
vol. 45, n° 7, p. 715-717 et dans les ouvrages déjà cités : La technique ou l'enjeu du siècle, p. 109, L'illusion
politique, p. 20-22, p. 60, p. 99, p. 333 ; Le système technicien, p. 197, p. 208.
29. J. Ellul, Changer de révolution. L'inéluctable prolétariat, op. cit. p. 222. Ellul partage les réserves de
Cornelius Castoriadis à l'égard du mot « socialisme » mais il le conserve « faute d'un mot plus adéquat ».
30. J. Ellul, op. cit. p. 276 et p. 400 dans la réédition de « La petite vermillon », La Table Ronde, 2015,
présentée par Michel Hourcade, Jean- Pierre Jézéquel et Gérard Paul.
31. Ce concept est à mettre en parallèle avec celui d'« austérité conviviale » dans l'œuvre de Ivan Illich,
1977, Le Chômage créateur, Œuvres complètes, vol. 2, 2005, p. 42-43.
32. https://accattone.net/2018/06/11/austerite- berlinguer/
https://www.accattone.net/2018/06/11/austerite
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