Hors collection - 150 ans de la faculté de droit de Bordeaux, quel héritage doctrinal ? - 62

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Jacques Ellul : du droit romain à l'écologie politique
transhumanisme. Ellul est écologiste car il s'est inquiété, très tôt, de voir se surajouter
au milieu naturel une seconde nature, un milieu naturel technicisé qui
inexorablement recouvre, envahit, réduit, absorbe, détruit le milieu naturel dont
l'homme a besoin pour éprouver concrètement sa liberté. Si en éthicien Ellul n'a
jamais cessé de dire qu'il ne croyait pas à l'existence d'une nature humaine intangible,
si en historien il a constamment rappelé que la plupart des paysages qui
nous semblent aujourd'hui naturels avaient subi l'empreinte humaine, si son intention
n'était pas de placer la nature sous cloche, pas même de créer des réserves
naturelles ou des sites protégés pour les promenades dominicales, son écologisme
n'en était pas moins radical. Non pas extrémiste mais « radical » au sens de ce qui
va à la racine. Dès l'origine il avait dénoncé le caractère illusoire et dilatoire des
politiques de protection de l'environnement. Pour instaurer, au quotidien, des
conditions de vie naturelles au sein de nos sociétés il fallait selon lui rompre radicalement
avec la logique capitaliste et techno- industrielle sur laquelle elles
reposaient60
. Il contestait l'interprétation
dominante des premiers chapitres de la Genèse utilisés comme fondement moral
de la maîtrise absolue de l'homme sur le reste de la Création, et instrument de
légitimation de sa prétendue puissance démiurgique. On oublie généralement que
le fameux « remplissez la terre, soumettez- là et dominez sur les poissons, les oiseaux
et sur tout animal qui se meut sur la terre » du second récit de la Création doit
être mis en parallèle avec le premier dans lequel Dieu invite l'homme à nommer
librement les animaux. Nulle part il est dit que l'homme peut utiliser le monde à
son gré et l'exploiter jusqu'à la destruction. Dieu permet à l'homme, par amour,
de s'approprier des choses mais il en fixe aussi la limite. Dieu ne donne pas à
l'homme un pouvoir illimité sur la création puisqu'il doit manifester au monde
créé par Dieu le même amour62
. Étant à l'image de Dieu, l'homme doit diriger la
terre comme Dieu dirige la création. À sa manière, à son exemple. Il doit dominer
les animaux à l'imitation de Dieu, non par la contrainte mais par amour. C'est
seulement après la nouvelle alliance et non dans la Création que l'homme est
autorisé à tuer l'animal pour se nourrir et qu'il devient pour ce dernier un sujet
60. J. Ellul, « Plaidoyer contre la " défense de l'environnement " », La France catholique, janv. 1972,
n° 1309, 1310, 1311.
61. Inspirée de l'historien Lynn T. White Jr., « The historical roots of our ecologic crisis », Science,
vol. 155, n° 3767, mars 1967, Les racines historiques de notre crise écologique, Puf, Hors collection, Paris,
2019.
62. J. Ellul, « Le rapport de l'homme à la création selon la Bible », Foi et Vie, n° 5/6, déc. 1974.
. Ses convictions étaient d'autant plus profondes en la matière qu'il
portait son combat également sur le terrain théologique. Dans ce domaine en
effet, Ellul réfutait la thèse très répandue selon laquelle le judéo- christianisme
serait à l'origine de la crise écologique actuelle61

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