Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 114

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PHILIPPE BLACHER
en ce domaine, la crise sanitaire a montré que confrontée à une loi organique
d'état d'urgence votée en urgence, la jurisprudence constitutionnelle était
prévisible et globalement complaisante à l'égard du pouvoir en place (53)).
En outre, si ce discours promeut la fonction sociale (au sens d'Hauriou)
de la Constitution, aucune réforme constitutionnelle ne produit les effets
attendus. En ce sens, Véronique Champeil-Desplats s'interroge à propos
du projet de loi constitutionnelle de 2015 : « Qu'aurait changé la constitutionnalisation
du régime de l'état d'urgence ? Une première réponse aurait
pu être : tout dépend de la teneur de celui-ci. Une approche inspirée de la
théorie réaliste de l'interprétation à laquelle nous adhérons porte plutôt à
conclure : cela n'aurait rien changé ou très peu de choses » (54). Sans être
« réaliste », on peut s'interroger sur l'efficacité de la logique constitutionnelle
sous-jacente au discours plaidant en faveur de l'inscription de l'état
d'urgence dans la Constitution. Les événements récents rappellent les difficultés
d'anticiper par les textes la survenance d'événements imprévus, même
si la volonté politique s'exprime favorablement pour prévoir un fonctionnement
d'urgence en cas de circonstances impérieuses. Le sort de la Résolution
modifiant le règlement de l'Assemblée nationale en ce qui concerne
l'organisation des travaux parlementaires en temps de crise (55) en est une
illustration. Confrontée, dès le 17 mars 2020, aux difficultés des déplacements,
à l'interdiction des réunions en nombre, à l'émergence de la « distanciation
sociale » et des « gestes barrières », la Conférence des présidents
de l'Assemblée nationale a dû prendre, dans l'urgence, des règles dérogatoires
pour organiser les séances (un « état d'urgence parlementaire » s'est
alors mis en place, selon l'expression du président Richard Ferrand). Des
mesures inédites se sont appliquées. La plus spectaculaire fut la présence en
nombre limité de parlementaires dans l'hémicycle : jusqu'à un seul député
par groupe entre la fin du mois de mars et la fin du mois d'avril 2020 (56).
(53) Gicquel J.-É., « Le Conseil constitutionnel confronté à l'épidémie de la Covid-19 »,
in Le Floch G. (dir.), Covid-19 : approche de droit public et de science politique, 2021,
Berger-Levrault, p. 136.
(54) Champeil-Desplats V., « Histoire de lumière française : l'état d'urgence ou
comment l'exception se fond dans le droit commun sans révision de la Constitution »,
art. cité, p. 226.
(55) Proposition de résolution n° 3798 enregistrée le 26 janvier 2021 et adoptée le
mars 2021. V. le dossier législatif en ligne : www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/
dossiers/travaux_parlementaires_crise.
(56) Les 577 députés n'ont pu se réunir qu'à partir du 23 juin 2020, à la condition
1er
de porter un masque. Lors du déclenchement du second confinement, au début du mois
d'octobre 2020, une jauge fixée à 50 % des parlementaires par groupe, en commission
et en séance, s'est imposée. D'autres mesures, moins visibles pour le grand public mais
inédites au Palais-Bourbon, se sont appliquées : la réduction de la durée des débats ;
l'adoption du principe des votes à main levée ; le développement des contributions
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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