Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 68

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ALEXANDRE VIALA
démocratique, qui consiste à confier le pouvoir au peuple, résulte en effet
d'une approche sceptique et émotiviste des valeurs aux termes de laquelle
la raison étant incapable de définir ce qui est juste en soi, la légitimité d'un
commandement ne peut reposer que sur l'autorité. En démocratie, cette autorité
est celle de la majorité des suffrages. L'épistocratie relève au contraire
d'une méta-éthique cognitiviste en vertu de laquelle la raison serait capable
de produire des vérités pratico-morales. Son esprit souffle depuis longtemps
dans la pensée juridique. C'est ainsi que, du jusnaturalisme classique de type
aristotélicien au positivisme sociologique, a triomphé l'idée qu'il existe, dans
la nature ou dans la société, des régulations immanentes et connaissables
dont le législateur devrait s'inspirer pour élaborer le droit positif. Tout une
tradition française du positivisme issue du xixe
siècle entretient, depuis son
fondateur Auguste Comte jusqu'à Émile Durkheim et son disciple, le juriste
Léon Duguit, le rêve illusoire d'une aptitude de la science non seulement à
connaître le monde mais aussi - et surtout - à le transformer. Dans la doctrine
de Léon Duguit, la science du droit peut légitimement puiser dans la
sociologie les ressources savantes lui permettant de prescrire au législateur
un idéal de rationalité (31). Cette doctrine qui place le législateur sous la
tutelle de la raison théorique du sociologue cultive l'idée, comme l'a très
justement rappelé Paul Amselek, que « le droit devrait faire l'objet, non pas
de procédures arbitraires d'édiction, mais de découvertes scientifiques rigoureuses
; que seule l'étude expérimentale de la réalité sociale permettrait de
dégager le vrai droit effectivement et spontanément à l'œuvre derrière les
phénomènes sociaux observés ; que la sociologie devrait ainsi être appelée à
supplanter le pouvoir politique et ses méthodes archaïques d'élaboration des
lois juridiques » (32).
Victor Hugo n'était pas non plus insensible à cet idéal scientiste d'une
société gouvernée par la seule raison. En témoignent ces lignes édifiantes
extraites des réflexions politiques de l'écrivain : « Toute l'éloquence humaine
dans toutes les assemblées de tous les peuples et de tous les temps peut se
résumer en ceci : la querelle du droit contre la loi. Cette querelle, et c'est là
tout le phénomène du progrès, tend de plus en plus à décroître. Le jour où elle
cessera, la civilisation touchera à son apogée, la jonction sera faite entre ce
qui doit être et ce qui est, la tribune politique se transformera en tribune scientifique
; fin des surprises, fin des calamités, des catastrophes, on aura doublé
le cap des tempêtes ; il n'y aura, pour ainsi dire, plus d'événements [...], plus
de disputes, plus de fictions, plus de parasitismes ; ce sera le règne paisible
de l'incontestable ; on ne fera plus les lois, on les constatera ; les lois seront
(31) Duguit L., Traité de droit constitutionnel, 3e
science, 1994, PUF, Léviathan, p. 9.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021
éd., 1927-1930, Paris, Fontemoing,
t. 1 ; id., L'État, le droit objectif et la loi positive, 1901, Paris, Fontemoing.
(32) Amselek P., Propos introductif, in Amselek P. (dir.), Théorie du droit et

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