Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 87

ÉTATS D'EXCEPTION ET ÉPIDÉMIES.
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HISTOIRE D'UNE IMPOSSIBLE NORMALISATION
L'intensité de cette police sanitaire s'inscrit dans deux temporalités différentes
selon l'urgence de la situation (33). Ce point est essentiel pour comprendre
la dimension exceptionnelle des mesures de police sanitaire. D'un
côté, après les années 1660, la peste n'apparaît plus endémique en France et
c'est d'abord aux frontières, en particulier dans les ports de commerce, que
s'exerce la surveillance des maladies infectieuses, considérées comme importées
de l'Orient (34). Le pouvoir royal confirme les mesures prises localement
par le Parlement de Provence qui imposent le débarquement à Toulon
ou à Marseille des bateaux venant du Levant (35). Lorsque le bateau vient
d'une zone possiblement infectée, les hommes d'équipage et les marchandises
doivent subir une quarantaine variable au lazaret, selon la pratique introduite
dès la fin du Moyen Âge dans certains ports italiens ; les navires sont également
l'objet de désinfections au parfum. Aucune personne ni aucune marchandise
ne peuvent accéder à terre en violation de ces règles et les équipages
ne peuvent non plus être débarqués en dehors des ports. Les frontières maritimes
deviennent ainsi l'objet d'un contrôle permanent lors de l'arrivée des
bateaux dans les ports de commerce, ce qui répond à une donnée stabilisée :
certaines zones ou certains pays sont infectés ordinairement par la peste ou les
maladies contagieuses (36).
D'un autre côté, d'autres mesures, complémentaires, se déclenchent en
cas d'urgence, dès lors qu'une maladie a pu franchir les frontières malgré les
mesures préventives. Le « temps de contagion » (37) entraîne provisoirement
des changements institutionnels (ainsi, la nomination de magistrats extraordinaires
comme les prévôts de santé de Paris et leurs aides) et une réglementation
restrictive dans la zone concernée par l'épidémie, afin d'accomplir
la fonction permanente, mais toujours mobile, de la police ; pouvoir finalisé,
celle-ci doit toujours s'adapter aux circonstances, sans véritable limitation
matérielle de ses normes. Mais le foisonnement normatif alors pris en un temps
très bref, s'il est adapté aux circonstances du moment, doit pourtant suivre
un certain « plan auquel on puisse rapporter les idées et les moyens » (38).
(33) Sur la distinction, établie au xviiie
siècle, entre deux types de mesures de
police, celles s'inscrivant dans un cadre et celles répondant à une urgence, cf. Napoli P.,
« Mesure de police. Une approche historico-conceptuelle à l'âge moderne »,
Tracés 2011, n° 20, p. 151 à 173.
(34) Hildesheimer F., « La monarchie administrative face à la peste », art. cité, p. 303.
(35) Le règlement du roi du 25 août 1683 concernant les ports de Marseille et
Toulon oblige les bateaux de la Marine de retour du Levant à rester au mouillage en
arrivée dans ces ports et à prendre contact avec le bureau de santé pour les informer de
la provenance et de l'état sanitaire du navire (Collection Isambert, t. 19, p. 431 à 434).
(36) Ainsi, le Levant, « où ce fléau [la peste] règne presqu'habituellement » (Encyclopédie
méthodique..., op. cit., t. 10, p. 729).
(37) V° « Contagion », ibid., t. 9, p. 587.
(38) Ibid., p. 591 (à propos des instructions données lors de l'épidémie de 1664-1669).
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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