Hors collection - Droit et déontologie des magistrats - 242

DROIT ET DÉONTOLOGIE DES MAGISTRATS
était en vigueur, les juges appréciaient très restrictivement ses conditions d'ouverture,
rendant cette procédure « drastique »9 tant il était complexe de la
mener à son terme. De même, l'appréciation de la responsabilité de l'État du
fait du service public de la justice, donc dans certains cas du fait des magistrats,
a tendu progressivement à un effacement du comportement du magistrat. Celuici
a été dilué dans le fonctionnement défectueux du service public de la justice
dans son ensemble. Tout d'abord, au regard de la faute lourde, celle-ci s'est
progressivement épurée de toute référence au comportement personnel. En
effet, avant 2001, la faute lourde faisait généralement référence à un comportement
personnel défaillant du magistrat, certaines définitions allaient jusqu'à
considérer que cette faute était « celle qui a été commise sous l'influence
d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat normalement soucieux de
ses devoirs n'y eut pas été entraîné »10. Dans ce cas, non seulement le comportement
fautif du magistrat devait être caractérisé, mais il devait être aussi
apprécié. Néanmoins, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence
dans un arrêt du 23 février 2001 à la suite de la tragique affaire du petit
Gregory11. Dans cet arrêt, la Haute Cour donne une nouvelle définition de la
faute lourde en considérant celle-ci comme « toute déficience caractérisée par
un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice
à remplir la mission dont il est investi »12. Ici le changement est notable puisqu'il
n'y a plus d'appréciation du comportement du magistrat, mais la prise en
compte d'un fait ou d'une série de faits caractérisant, finalement, une faute ou
une inaptitude du service public de la justice.
Ensuite, la notion de déni de justice a elle aussi subi une évolution remarquable.
Initialement, le déni de justice était seulement défini par l'article 4 du Code civil
selon lequel « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité
ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice
». Une nouvelle fois, le comportement personnel du juge est mis en lumière.
Parallèlement à cette définition, la jurisprudence a fait naître une nouvelle conception
du déni de justice basée sur l'obligation de respecter un délai raisonnable. Une
procédure trop longue est assimilée aujourd'hui à un déni de justice, ouvrant ainsi
droit à une indemnisation. Cette définition est basée sur la notion de déni de justice
avancée par Louis Favoreu qui voyait en celle-ci la violation du devoir de protection
juridictionnelle incombant à l'État13. Il est vrai que le déni de justice, pouvant résulter
de lenteurs procédurales, condamne finalement et justement l'État parce qu'il ne
donne pas aux magistrats les moyens de traiter les recours en temps et en heure.
Néanmoins, cette notion de déni de justice pourra jouer au regard du comportement
personnel d'un magistrat qui, par sa faute, ne traiterait pas dans un temps raisonnable
certaines affaires alors qu'il avait les moyens de le faire14.
9. O. Renard Payen, Y. Robineau, La responsabilité de l'État pour faute du fait du fonctionnement défectueux du service
public de la justice judiciaire et administrative, rapport annuel de la Cour de cassation, 2002, p. 59.
10. Cass. 1re civ., 13 oct. 1953, Bull. civ. I, nº 224 ; Cass. 1re civ., 20 févr. 1996, nº 94-10606, Bull. civ. I, nº 393.
11. Cass. ass. plén., 23 févr. 2001, nº 99-16165, Bull. ass. plén., nº 5, p. 10.
12. Ibid.
13. L. Favoreu, Du déni de justice en droit public français, thèse, LGDJ, 1964.
14. Cass. 1re
civ., 13 mars 2007, nº 06-13040, Bull. civ. I, nº 107.
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