Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 136 - Le Conseil d'État, juge de droit commun du droit de l'Union européenne - 314

296 LE CONSEIL D'ÉTAT, JUGE DE DROIT COMMUN DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
Google d'accéder à leur demande, les requérants avaient saisi la CNIL afin qu'elle
mette en demeure la société de procéder au déréférencement, mais elle a refusé
d'exercer ce pouvoir. L'Assemblée du contentieux devait donc déterminer si ce
refus était compatible avec les exigences résultant de la directive, telle qu'interprétée
par la Cour de justice. Or, alors même que, comme le soulignaient Guillaume
Odinet et Sophie Roussel, « sur le seul plan juridique, l'assemblée aurait pu estimer
que le cadre juridique général du droit au déréférencement avait été suffisamment
tracé par l'arrêt du 13 mai 2014 et qu'il lui revenait, en tant que juge de l'action, de
statuer seule sur les faits en cause devant elle »49
, la Haute juridiction administrative,
sur l'invitation d'Aurélie Bretonneau, a fait le choix de ne trancher aucun
point de droit soulevé et a renvoyé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de
justice. Certes, à la différence de l'affaire tranchée par la Cour en 2014, les affaires
portées devant le Conseil d'État mettaient en cause des liens renvoyant vers des
données personnelles sensibles et publiées de manière illicite. Mais dès lors que la
Cour avait conféré un droit au déréférencement pour des liens menant vers des
données non sensibles et publiées de manière licite, sa jurisprudence aurait pu être
interprétée comme accordant nécessairement le même droit à des données plus
sensibles, qui font par ailleurs l'objet d'une protection accrue dans la directive. Ce
sont donc des considérations d'opportunité qui ont encouragé le Conseil d'État à
interroger la Cour dans cette affaire. Aurélie Bretonneau soulignait à cet égard
« que, loin de vous décharger sur la CJUE d'appréciations qui vous reviennent, vous
lui donnerez l'occasion, en bâtissant le second pilier de la jurisprudence Google
Spain, de conforter l'édifice qu'elle a prétoriennement érigé »50
. Nous estimons que
derrière la mise en lumière de la recherche d'un d'affinement de la jurisprudence
de la Cour se cache la volonté de voir le juge de l'Union relativiser l'arrêt Google
Inc afin que soit limitée la portée du droit au déréférencement.
197. Des renvois préjudiciels commandés par la volonté de circonscrire la portée
du droit au déréférencement. Avec ce renvoi préjudiciel, le Conseil d'État
cherche en réalité à ce que soit limitée la portée matérielle du droit au déréférencement
à la charge des moteurs de recherche. À cet égard, nous partageons pleinement
l'analyse d'Aude Bouveresse qui souligne, en substance, que par la mise
en lumière d'un lien entre le droit au déréférencement et la licéité du traitement
des données, le Conseil d'État cherche en réalité à obliger la Cour à réévaluer les
obligations des exploitants de moteurs de recherche51
. D'ailleurs, dans sa qua.
Sachant que la Cour confirmera probablement
trième série de questions, le Conseil d'État interroge la Cour « indépendamment de
la licéité de la publication des données à caractère personnel sur la page web vers
laquelle mène le lien litigieux »52
que le moteur de recherche peut, dans des circonstances telles que celles en cause
la troisième affaire, les liens menaient vers des articles mentionnant la mise en examen du requérant et
qui ne faisaient pas état de la clôture de la procédure. Enfin, dans la quatrième affaire, le lien menait
vers des articles relatifs à la condamnation du requérant pour des faits d'agressions sexuelles sur
mineurs et l'un d'entre eux rapportait des détails intimes révélés lors du procès.
49. G. Odinet et S. Roussel, « Renvoi préjudiciel : le dialogue des juges décomplexé », AJDA,
2017, p. 740, spéc. p. 742.
50. A. Bretonneau, conclusions sur CE, ass., 24 février 2017, Mme Chupin e.a, RFDA, 2017,
p. 535, spéc. p. 545.
51. Pour une analyse en ce sens V. A. Bouveresse, « La parfaite maîtrise, par le Conseil d'État, de
son statut de juridiction européenne de droit commun », RTDE, 2017, p. 803, spéc. p. 805.
52. CE, ass., 24 février 2017, Mme Chupin e.a, req. n° 391000, n° 393769, n° 399999 et n° 401258,
Rec. p. 59.

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