Bibliothèque de droit privé - Tome 620 - Le droit international privé de la famille à l'épreuve de l'impératif de reconnaissance des situations - 300

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que l'arrêt Polbud est venu rappeler récemment158
Le droit internationaL privé de La famiLLe
À L'épreuve de L'impératif de reconnaissance des situations
. Dans cette seconde hypothèse,
qui est la plus proche de ce qui nous occupe, la prohibition de l'abus est intégrée
au test de proportionnalité, en ce sens que la lutte d'un État membre contre la
fraude ou l'abus peut être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt
général159
. La Cour, cependant, ne paraît vouloir admettre que très rarement
qu'une restriction visant à combattre l'abus soit proportionnée. En droit de la
famille, l'interdiction de l'abus de droit sera-t-elle une limite réelle à l'action des
particuliers, ou est-elle vouée à demeurer une précaution oratoire par lequel la
Cour de justice tente de masquer la radicalité de sa construction ? La question
reste ouverte, car jusqu'à présent la Cour de justice ne s'est prononcée que dans
des affaires où les situations avaient été constituées dans des États qui avaient un
lien significatif avec celles-ci160
.
399. Il est cependant encore possible de considérer, en droit de la famille au
moins, que le droit de l'Union n'encourage pas les citoyens à « se soustraire à
toute emprise nationale », mais les aide au contraire à « préserver une forme particulière
d'enracinement » qui reflète « plusieurs attachements réels »161
. Cela peut
sembler refléter un équilibre satisfaisant : certes, le droit de l'Union est par nature
émancipateur de l'individu162
mesure des contraintes que feraient autrement peser sur lui les États, notamment
son État de résidence et son État national163
, et lui permet de s'affranchir dans une certaine
, néanmoins la jurisprudence de la
Cour en matière d'accès aux prestations sociales et de droits politiques montre
158. CJUE, gr. ch., 25 oct. 2017, Polbud, aff. C-106/16, D., 2017. 2512, note L. d'Avout ; ibid.,
2018. 1934, obs. L. d'Avout ; JCP G, 2017, 1352, note M. Combet ; ibid., 2018, 157, obs. M. Menjucq ;
ibid., 656, obs. F. Deboissy, G. Wicker ; Rev. sociétés, 2018. 47, note G. Parleani ; JCP E, 2018, 1014,
note M. Menjucq ; Bull. Joly, 2018. 19, note Th. Mastrullo ; RCDIP, 2019. 511, note J. Heymann ;
Europe, 2017, comm. 462, obs. D. Simon ; AJDA, 2018. 329, obs. P. Bonneville et al. ; JDI, 2018,
chron. 9, obs. J.-S. Quéguiner ; RTDE, 2018. 693, obs. F. Berrod ; Dr. soc., 2018, chron. 1,
obs. E. Schlumberger. V. not. le pt. 62 de l'arrêt dans lequel la Cour, s'appuyant sur les arrêts Centros
et Inspire Art, rappelle que « n'est pas constitutif en soi d'abus le fait d'établir le siège, statutaire ou
réel, d'une société en conformité avec la législation d'un État membre dans le but de bénéficier d'une
législation plus avantageuse ».
159. Ce qu'illustre d'ailleurs l'arrêt Centros (CJCE, 9 mars 1999, préc.), v. les pts. 34 et ss. Sur
« l'absorption » de l'abus de droit par la proportionnalité, v. A. Marzal Yetano, La dynamique...,
préc., n° 860 et ss., p. 331 et ss. ; R. N. Ionescu, op. cit., p. 440-442.
160. Même dans l'affaire Bogendorff von Wolffersdorff (CJUE, 2 juin 2016, préc.), l'indéniable
habileté du requérant et son talent pour l'optimisation juridique ne doit pas conduire à minimiser la
circonstance que les liens entretenus par la famille avec les deux États membres impliqués étaient
significatifs ou au moins l'avaient été, v. la note d'É. Pataut. Il est cependant parfois avancé que la
qualité des liens entre la situation et l'État membre de sa constitution serait indifférente, v. A. Marzal
Yetano, « The Constitutionalisation... », préc., spéc. p. 160-162.
161. L. Azoulai, « La citoyenneté européenne, un statut d'intégration sociale », in Chemins
d'Europe - Mélanges en l'honneur de Jean-Paul Jacqué, Paris, Dalloz, 2010, p. 1-28, p. 25-26.
M. Azoulai, néanmoins, ne manifeste pas toujours cet enthousiasme pour la jurisprudence de la Cour
en matière de nom de famille, v. not., à propos de l'arrêt Garcia Avello (CJCE 2 oct. 2003, préc.),
« L'autonomie de l'individu européen... », préc., p. 204.
162. É. Dubout, « L'identité individuelle dans l'Union européenne : à la recherche de l'homo
europeus », in L'identité du droit de l'Union européenne - Mélanges en l'honneur de Claude Blumann,
Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 135-150, qui évoque notamment « le paradoxe de la construction
européenne : l'Union européenne s'adresse à l'individu sans que ce dernier se reconnaisse en elle »
(p. 136). V. aussi « L'autonomie de l'individu européen... », préc., p. 189-191.
163. V., dans l'ouvrage L. Azoulai, S. Barbou des Places, É. Pataut (dir.), Constructing the Person
in EU Law - Rights, Roles, Identities, Oxford / Portland (OR), Hart Publishing, 2016, les contributions
de F. de Witte, « Emancipation through Law? », p.15-33, et les références citées, ainsi que, plus
brièvement, S. Barbou des Places, « The Integrated Person in EU Law », p. 179-202, p. 194.
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