Bibliothèque de droit public - Tome 328 - L'intérêt général en économie de marché - 117

LA BANALISATION DU RÉGIME JURIDIQUE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
117
autres la France, car, selon la Cour « un système de concurrence non faussée, tel que
celui prévu par le traité, ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les
différents opérateurs économiques est assurée. Confier à une entreprise qui commercialise
des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications auxquelles
devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d'agréer
ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels sont
les appareils terminaux susceptibles d'être raccordés au réseau public et à lui octroyer
ainsi un avantage évident sur ses concurrents »55. Elle suit la même approche dans
d'autres cas, comme à propos de l'attribution à une seule entreprise, déjà détentrice
d'un droit exclusif de diffusion d'émissions de télévision, d'un droit exclusif de
retransmission de telles émissions, « lorsque ces droits sont susceptibles de créer une
situation dans laquelle cette entreprise est amenée à enfreindre l'article 86 par une
politique d'émission discriminatoire en faveur de ses propres programmes »56 mais
également d'un organisme public, détenteur du monopole de l'établissement et de
l'exploitation du réseau téléphonique public qui, malgré le fait qu'il commercialisait
des appareils téléphoniques disposait du pouvoir d'agréer les appareils téléphoniques
qu'il n'a pas fournis lui-même en vue de leur raccordement au réseau public57,de
plusieurs directions du même ministère chargées à la fois de l'exploitation du réseau
public de télécommunications, de la commercialisation d'appareils terminaux et de la
formalisation des spécifications techniques, du contrôle de leur application et de
l'agrément des appareils terminaux58 ou d'une loi attribuant à une compagnie portuaire,
à la fois, un monopole consistant à la mise de la main-d'œuvre à la disposition
d'entreprises autorisées à effectuer des opérations portuaires ainsi que de la possibilité
de concurrencer ces dernières sur le marché des services portuaires59. La Cour considère
que le cumul dans le chef d'une même entreprise relevant de l'article 106 § 1
TFUE des qualités d'offreur de biens ou de services sur un marché et de détenteur
de droits de régulation sur ce même marché ne permet pas d'assurer l'égalité des
chances entre opérateurs et donc un système de concurrence non faussée tel que
55. Pt. 51. Avant de présenter sa propre position, la Cour cite deux considérants de la directive qui
expliquent la thèse de la Commission (pts. 49 et 50) : « Le neuvième considérant prévoit à cet égard que
" ... pour assurer une application transparente, objective et non discriminatoire des spécifications techniques
et des procédures d'agrément, la mise en forme et le contrôle de ces règles doivent être organisés à partir
d'organismes indépendants des concurrents sur le marché en question... " . Le dix-septième considérant prévoit
que " le contrôle des spécifications et des règles d'agrément ne peut être confié à un des opérateurs
concurrents dans le marché des terminaux, vu le conflit d'intérêts évident, ... il y a lieu dès lors de prévoir
que les États membres assurent que la mise en forme des spécifications et des règles d'agrément soit
confiée à une entité indépendante du gestionnaire du réseau et de tout autre concurrent sur le marché des
terminaux " ». Ces références lui servent d'arguments de base pour sa propre position.
56. CJCE, 18juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. 1991, p. I-2925, pts. 37 et 38.
57. Arrêt RTT, précité.
58. CJCE, 27 octobre 1993, Decoster, C-69/91, Rec. 1991, p. I-5335, CJCE, 27 octobre 1993, Taillandier,
C-92/91, Rec. 1993, p. I-5383.
59. CJCE, 12 février 1998, Silvano Raso, C-163/96, Rec. 1998, p. I-533. Selon la Cour, « par le simple
exercice de son monopole, elle se trouve en effet en mesure de fausser à son profit l'égalité des chances
entre les différents opérateurs économiques agissant sur le marché des services portuaires [...]. Ainsi, la
compagnie en cause est amenée à abuser de son monopole en imposant à ses concurrents sur le marché
des opérations portuaires des prix excessifs pour la fourniture de main-d'œuvre ou en mettant à leur disposition
une main-d'œuvre moins adaptée aux tâches à accomplir. Dans ces conditions, un cadre juridique tel
que celui qui résulte de la loi de 1994 doit être considéré comme étant, en lui-même, contraire à l'article 90,
paragraphe 1, lu en combinaison avec l'article 86 du traité. A cet égard, il importe peu que la juridiction de
renvoi n'ait pas relevé d'abus effectif de l'ancienne compagnie portuaire transformée » (pts. 29-31).

Bibliothèque de droit public - Tome 328 - L'intérêt général en économie de marché

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit public - Tome 328 - L'intérêt général en économie de marché