Bibliothèque de droit public - Tome 328 - L'intérêt général en économie de marché - 30

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L'INTÉRÊT GÉNÉRAL EN ÉCONOMIE DE MARCHÉ
L'État, et plus généralement les collectivités et entités publiques70, disposent
selon la conception volontariste d'un rôle fondamental dans la définition et la mise
en œuvre de l'intérêt général, y compris dans le champ marchand. Cette dernière affirmation
nécessite une précision. Effectivement, l'existence d'un marché revêtant des
fonctions contribuant à la détermination de la nature du système dans lequel il s'inscrit,
n'exclut pas a priori l'adoption par la société concernée d'une conception dite
volontariste de l'intérêt général, même si, dans un tel contexte, l'agencement des intérêts
se complexifie, tout comme la traduction juridique de ce dernier. Dans ce cadre,
l'inspiration fondamentale rousseauiste peut être considérée comme étant toujours
présente à plusieurs égards, sans pourtant qu'il ne soit possible de voir en un tel système
une parfaite correspondance avec les principes rousseauistes. Dans ce même
cadre, l'intérêt général peut d'ailleurs être invoqué assez aisément pour justifier des
limitations à des droits et libertés économiques et donc à des intérêts privés qui y
correspondent, alors que des concepts comme celui de la solidarité revêtent un caractère
non seulement de valeur politique, mais également de principe juridique consacré
et concrétisé, textuellement et jurisprudentiellement.
27. Àl'opposé de la logique du dépassement des intérêts particuliers dans la
recherche collective de l'intérêt général à travers la délibération politique marquée
par la transcendance, se situe la perspective utilitariste, ancrée dans ce qui constitue
le cœur de la tradition benthamienne pour ce qui est du rapport entre intérêt général et
intérêts particuliers, à savoir l'idée que le bonheur social se compose des seules utilités
individuelles71. Effectivement, si l'utilitarisme reste un courant philosophique pluriel
et parsemé d'antinomies internes72, si les perspectives de Jeremy Bentham,
de John Stuart Mill, de Henry Sidgwick ou de John Harsanyi, pour n'évoquer que certains
seulement des penseurs utilitaristes, ne sont pas identiques, les utilitaristes s'accordent
en ce qui concerne la question fondamentale du rapport entre l'intérêt général
et les intérêts particuliers pour affirmer que la poursuite par chacun de son propre
intérêt permet de parvenir à l'intérêt général73 car « ce qui est bon pour l'individu,
[serait] ce qui est bon pour la communauté »74. Selon cette conception, « la grande
majorité des actions bonnes visent le bien non de l'univers, mais des individus dont
le bien de l'univers est constitué ; et les pensées de l'homme vertueux n'ont nul
besoin dans ces occasions de voyager au-delà des personnes particulières qui sont
70. Au sens fonctionnel du terme « public » qui permet de regrouper également les entités porteuses
d'un statut juridique de droit privé mais exerçant une fonction qui relève de l'intérêt général, sous contrôle
d'une entité publique au sens organique du terme.
71. Cf. à titre d'exemple BENTHAM J., Déontologie ou Science de la morale, Paris, Charpentier,
Libraire-éditeur, 1831, vol. 1, revu, remis en ordre et publié par J. Bowring, traduit par B. Laroche, 1834,
p. 26 : « De quoi se compose le bonheur total si ce n'est des utilités individuelles ? ».
72. À titre d'exemple, cf. entre autres HALEVY E., Laformation du radicalisme philosophique, vol.
III : Le radicalisme philosophique, Paris, PUF, 1904, p. 219, qui souligne ce qu'il considère comme incohérence
entre les positions politiques et économiques de Bentham. Les antinomies sont également détectables
entre auteurs appartenant au même courant.
73. Cf. BAZARD P., Les fondements de l'économie du bien-être et la révision de l'utilitarisme :
l'héritage de Henry Sidgwick, Thèse pour le doctorat en science économique, Université de Paris I, Panthéon
- Sorbonne, 1997, p. 8. Cf. pourtant aussi BAUJARD A., Collective interest vs. individual interest in
Bentham's Felicific Calculus. Questioning welfarism andfairness, European Journal of the History of Economic
Thought, 2010, 17 (4), not. p. 5, qui étudie entre autres les spécificités du concept d'intérêt chez
Bentham.
74. Cf. BAUJARD A. op. cit.,p. 15 et l'exemple y cité BENTHAM J., The Constitutional Code.
William Tait, Edinburgh, 1827 (1830) in Bentham's work, published under the superintendence of his executor
John Bowring, Vol. 9, 1843 (1872).

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