Bibliothèque de droit privé - Tome 621 - La théorie générale des conflits de lois à l'épreuve de l'individualisme - 509

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES CONFLITS DE LOIS À L'ÉPREUVE DE L'INDIVIDUALISME
nos jours ; gageons que cette dernière n'aurait probablement pas été inquiétée, et que
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ou les libertés de circulation
européennes lui auraient fourni des instruments commodes pour parvenir à
ses fins et l'autoriser à conserver la continuité de sa situation - et donc à couvrir sa
fraude. La sanction de la fraude à la loi semble dès lors incompatible avec l'esprit
libéral et individualiste qui anime la reconnaissance des situations310. Quant à l'exception
d'ordre public, elle paraît tout aussi mal en point. L'arrêt Negrepontis c.
Grèce311 en a singulièrement bridé les effets puisque son déclenchement est désormais
soumis au respect des exigences de l'article 8 de la Convention qui constitue
précisément le fondement de l'obligation de reconnaissance des situations312. En définitive,
l'ensemble des mécanismes classiquement affectés à la protection des valeurs
de la collectivité et de l'autorité du droit se trouvent dorénavant grandement fragilisés
sous la pression de la reconnaissance des situations et de la portée que celle-ci confère
aux intérêts et aux préférences individuels. Les rapports entre l'individu et la collectivité
en sortent donc nettement modifiés, et cela au bénéfice exclusif du premier.
Comme le requièrent les valeurs individualistes, l'individu est le grand bénéficiaire
de cette tendance. On pourra peut-être regretter que l'axiologie de la discipline
renonce à rechercher une position plus équilibrée, comme y invitait son esprit
classique313. Mais cela paraît néanmoins inévitable car « la poursuite du bonheur individuel
» est désormais une valeur bien plus importante que celle qui s'attache à « l'autorité
de la loi »314. Un tel mouvement réalise donc radicalement cette ultime exigence
des valeurs individualistes, et dont A. Supiot résumait l'inspiration en une formule
nette : « Chacun doit pouvoir choisir la loi qui lui convient - avoir la loi pour soi -
et devenir son propre législateur - avoir soi pour loi »315. Le droit international privé
moderne en a tiré toutes les conséquences ; alors, « à chacun son conflit, à chacun son
droit ? »316. À cette interrogation, l'individualisme semble bel et bien imposer une
réponse affirmative.
461. Conclusion de Section. L'étude des manifestations des valeurs individualistes
au sein des différentes méthodes du droit international privé moderne a permis
de montrer l'empire acquis par cette tendance au sein de l'axiologie qui dirige la discipline.
Les évolutions et les altérations subies par la méthode conflictuelle en témoignent.
Les transformations de la règle de conflit paraissent en effet toujours répondre
à une logique individualiste, invitant à resserrer le prisme d'analyse autour des situations
individuelles afin de recentrer les préoccupations axiologiques de la résolution
du conflit de lois sur la satisfaction prioritaire des intérêts individuels. Les valeurs
individualistes se manifestent de manière plus intense encore à travers le recours à
d'autres méthodes offrant une voie particulièrement adaptée à la réalisation de leurs
310. Y. LEQUETTE, « Les mutations du droit international privé : vers un changement de paradigme
? », préc., p. 602, soulignant que la « sanction » de la fraude à la loi est incompatible avec l'esprit
de cette technique, puisqu'elle « remettrait la reconnaissance sous la férule de la règle de conflit et restituerait
à la loi désignée une autorité qu'on lui a d'abord déniée ».
311. CEDH, 3 mai 2011, Negrepontis-Giannisis c. Grèce, préc., spéc. § 76.
312. V. not. : P. KINSCH, note sous CEDH, 3 mai 2011, Negrepontis-Giannisis c. Grèce, Rev. crit.
DIP., 2011. 817, spéc. p. 817 et pp. 820-823, analysant la portée de cette soumission de l'ordre public
international aux exigences de l'article 8 de la Convention
313. Voir supra nº 312 et s.
314. P. KINSCH, « Quel droit international privé pour une époque néolibérale ? », préc., p. 383.
315. A. SUPIOT, « Les deux visages de la contractualisation : déconstruction du Droit et renaissance
féodale », préc., p. 30 ; du même auteur, La gouvernance par les nombres, préc., p. 284.
316. D. BUREAU, « L'accord procédural à l'épreuve », Rev. crit. DIP., 1996.587, spéc. p. 619.

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