Bibliothèque de droit privé - Tome 623 - L'ubiquité des biens - 87

LA RÉVÉLATION DE LA CHOSE UBIQUISTE
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dimension matérielle a pour lui la vraisemblance d'une chose195.L'autre aspect, purement
spirituel, « manifeste autant la subjectivité de son auteur que le partage intersubjectif
de l'esprit, toujours irréductible à l'imposition d'une logique
commerciale »196. Selon lui, la pensée ne peut jamais être une chose197. À rebours
des arts mécaniques, les « travailleurs intellectuels »198 ne sauraient donc se départir
de leurs créations, car celles-ci sont moins le produit de leurs mains que de leurs
âmes. Dans cette perspective, la création n'a pas à être attribuée au créateur199.
Puisque c'est de lui qu'elle provient, elle en est indissociable200. La dimension intellectuelle
d'un livre doit être assimilée à un discours que donnerait l'auteur et, en tant
que tel, constitue un attribut de sa personnalité au même titre que sa voix, son image
ou sa pensée. Par suite, l'auteur ne se départit pas de son œuvre au profit de l'éditeur.
Ce n'est pas de vente, mais bien davantage de « la conduite d'une affaire au nom d'un
autre »201 dont il s'agit.
Là encore202,c'est l'ubiquité de la chose intellectuelle qui sous-tend l'analyse
personnaliste. Si l'analyse de MORILLOT se base sur les mêmes prémisses que celle
de PICARD pour nier que l'œuvre soit une chose203, elle le mène néanmoins à des
français, de droit comparé et de droit international, Paris, Rousseau, 1935, p. 45). S'il concède la double
nature - pécuniaire et intellectuelle - du droit, il considère néanmoins que l'essence personnelle de l'œuvre
justifie l'attraction des prérogatives patrimoniales dans l'ordre moral.
195. Bien que séparée de près de deux millénaires, une telle représentation s'avère en définitive très
proche de celle de SÉNÈQUE (Cfsupra, nº 23). La proximité est particulièrement visible dans ce passage de
l'illégitimité de la reproduction des livres (E. KANT et al., Qu'est-ce qu'un livre ?, op. cit., p. 120), dans
lequel le philosophe allemand écrit : « l'auteur et le propriétaire de l'exemplaire peuvent dire chacun
avec le même droit du même livre : c'est mon livre ! mais en des sens différents ».
196. G. LAROCHELLE, « De Kant à Foucault : que reste-t-il du droit d'auteur ? », L'Homme et la
société, 1998, vol. 130, nº 4, p. 41. Et l'auteur de continuer ainsi : « Une structure paralogique fonde le
schéma kantien. Son développement polarise les domaines de l'intellectuel et du fonctionnel. Il les rend
d'abord incommensurables l'un à l'autre. La procédure équivaut en quelque sorte à séparer le noumène
et le phénomène dans la consistance du livre. Sur le plan des idées, un lien consubstantiel, une solidarité
parfaite entre l'auteur et l'œuvre crée une réciprocité, voire une responsabilité qui lesfont s'entreréfléchir
constamment ».
197. Dans la pensée de KANT, une telle lecture peut s'expliquer par le fait que, pour lui, la chose ne se
conçoit pas en dehors de la matérialité (Doctrine du droit, Paris, FB Éditions, 2015, p. 9), ce qui facilite le
maintien d'une séparation franche entre les choses et les personnes. En maintenant cette barrière, il empêche
toute assimilation de la chose et de la personne (Vº not., S. VANUXEM, Les choses saisies par la propriété,
Thèse, dir. T. Revet, Paris, Panthéon-Sorbonne, 2009, no
36, p. 65).
198. Vº not. L. DRAI, Le Droit du travail intellectuel, Paris, LGDJ, 2005.
199. En cela, elle marquerait une opposition franche entre le modèle continental et les traditions
anglo-saxonnes, réputées faire de l'œuvre, non seulement un bien, mais encore une " marchandise " . Pour
un exemple d'emploi de l'expression par la presse généraliste et sur l'exacerbation des différences entre ces
deux modèles, Vº A. STROWEL, « Droit d'auteur et copyright. Convergences des droits, régulation différente
des contrats », in Mélanges A. Lucas, Paris, LexisNexis, 2014, p. 700.
200. Vº en ce sens, A. LALLEMENT, Travail, création et propriétés, Thèse, dir. Ph. Gaudrat, Poitiers,
2012, no 156, p. 215 : « L'appropriation des créations a étéjustifiée par l'affirmation du droit de l'individu
sur les fruits de son activité ».
201. E. KANT et al., Qu'est-ce qu'un livre ?, op. cit., p. 120.
202. Cfsupra, nº 28, 29.
203. « De la nature du droit d'auteur considéré à un point de vue général », op. cit.,p. 117 : « tandis
que le droit réel et le droit d'obligation ne peuvent être exercés que là où se trouve soit la chose, soit le
débiteur, le droit d'auteur estpartout susceptible d'un exercice utile, puisqu'il est susceptible d'être partout
violé. L'objet du droit n'ayant pas de situation, le droit ne saurait en avoir davantage, et c'est par un
véritable effort qu'on arrive à lui donner la nationalité du sujet, ou une nationalité plus arbitraire encore,
celle du pays où paraît l'œuvre. Ce caractère évident de l'œuvre, qui est une seconde conséquence de sa
nature immatérielle, démontre surabondamment qu'elle n'est pas susceptible de propriété ».
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