Bibliothèque de droit privé - Tome 625 - Quasi-contrat et enrichissement injustifié - 227

LE DÉCALAGE ENTRE LA DOCTRINE ET LA PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE
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considération, et ce qui fera l'objet des restitutions, c'est le profit reçu par l'accipiens
: seulement ce qu'il a reçu mais tout ce qu'il a reçu ! Le nouvel article 1352-3
du Code civil illustre bien cet aspect et indique que la restitution inclut notamment les
fruits perçus par l'accipiens, qui ne sont, par hypothèse, pas sortis du patrimoine du
solvens. Ce qui est au contraire pris en considération, dans la gestion d'affaires, c'est
l'appauvrissement du gérant. Dans la gestion d'affaires, comme en matière de responsabilité,
on se place du côté du créancier de l'indemnité. Ce qui compte est la perte
subie par le gérant, peu importe le gain perçu ou non par le maître.
240. L'indifférence de l'appauvrissement dans la répétition de l'indu. L'appauvrissement
est, en revanche, sans importance dans la répétition de l'indu. Certes,
le solvens perd la chose transférée mais la mesure de ce qui lui est dû est évaluée en
fonction de ce qu'a reçu l'accipiens et non de ce qu'il a perdu. La règle sur le sort des
fruits perçus par l'accipiens peut à nouveau servir d'illustration. Cette solution répond
bien à la logique de la répétition de l'indu, qui est une logique de propriété. Il appartient
au (légitime) propriétaire de recueillir les fruits de son bien. S'ils sont perçus par
une tierce personne, ils doivent être restitués, sauf accord contraire du propriétaire.
Ainsi, ce qui est pris en considération est ce que l'accipiens a reçu et qui aurait légitimement
dû revenir au solvens. Autrement formulé, une fois qu'il est établi que le
profit est bien relié au solvens, l'attention se focalise sur l'accipiens et ce qu'il a
reçu et non sur ce que le solvens a perdu. Cela explique que l'article 1352-1 mette à
la charge du solvens les dégradations et détériorations du bien, sauf mauvaise foi et
faute de l'accipiens. Cette règle est à rapprocher de l'idée que les risques de la chose
pèsent en principe sur le propriétaire. S'il n'y avait pas eu de transfert, le solvens
aurait naturellement dû supporter ces dégradations, à moins bien évidemment qu'elles
ne soient le résultat de la faute d'un tiers. La répétition de l'indu et la gestion d'affaires
présentent ainsi deux modèles différents. Tandis que la répétition de l'indu offre
un modèle original que l'on ne retrouve dans aucune autre source d'obligation, la
gestion d'affaires reprend au contraire des solutions existantes tant en droit des
contrats (s'agissant des obligations du gérant à l'égard du maître qui ressemblent
aux obligations d'un mandataire) qu'en droit de la responsabilité (s'agissant de l'obligation
du maître à l'égard du gérant). La particularité de la gestion d'affaires est d'offrir
une solution dans un cas où il n'existe en principe aucun fait générateur de responsabilité
ni aucun contrat13. Elle n'a pour unique but que d'encadrer une hypothèse
très particulière où un tiers s'est immiscé dans les affaires d'autrui. Cela explique
également pourquoi, contrairement à la répétition de l'indu, le comportement des parties,
et surtout celui du gérant, est important. La gestion d'affaires ne repose pas sur
une logique « objective », puisqu'elle est mue par un sentiment d'équité, il faut tenir
compte des mérites particuliers du demandeur, pour savoir s'il convient de lui attribuer
ou non une indemnité. L'intention du gérant est donc très importante et a des
conséquences sur le principe de l'indemnité comme sur son évaluation14. De ce fait,
la gestion d'affaires n'aqu'une vocation marginale. A contrario, la répétition de
13. Le professeur Libchaber note ainsi qu'il s'agit d'une solution d'équité affaiblie, car elle permet au
demandeur d'avoir un recours alors qu'aucun autre fondement n'est invocable, mais seulement lorsqu'il est
mu par une intention altruiste (R. LIBCHABER, « Le rôle de l'initiative personnelle dans la gestion d'affaires
», RDC nº 3, 2015, p. 487).
14. L'on comprend ainsi pourquoi la plupart des auteurs du XIXe
établissaient une différence de
régime entre la gestion d'affaires intéressée ou anormale (qui justifiait que l'indemnité soit limitée à l'enrichissement
procuré au maître) et la gestion d'affaires désintéressée (qui permettait d'obtenir un remboursement
intégral des dépenses).

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