Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 124

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LES ACTES NUISIBLES À LA VIE EN SOCIÉTÉ
constitue une interférence dans sa liberté qui n'est ni légitime, ni légale. À l'inverse,
empêcher un individu de nuire à autrui constitue une interférence dans sa liberté qui
est tout autant légitime que légale - à certaines conditions fixées par la loi.
Quant à la liberté positive, elle se définit comme étant la capacité pour l'individu
de décider pour lui-même. Ce qu'Isaiah Berlin résume comme suit : « Je souhaite
que ma vie et mes décisions dépendent de moi, et non des forces extérieures
quelles qu'elles soient »12
. Cette capacité d'autodétermination suppose une maitrise
de soi qui doit permettre à l'individu de déterminer ce qui concoure à son
développement personnel. À ce titre, la liberté positive s'exprime lorsque l'individu
réussit à atteindre les buts qu'ils s'étaient fixés et qui lui permettront de se
réaliser13
. Quels qu'ils soient. (Voir infra).
De prime abord, les deux concepts de liberté ne sont donc pas antinomiques.
Pour pouvoir atteindre les buts que l'on s'est fixés, encore faut-il être libre de le
faire. De toute évidence, moins l'individu connaîtra d'interférences et plus il sera
apte à agir conformément à son envie. Toutefois, cet avis n'est pas unanimement
partagé par la doctrine anglo-saxonne qui s'emploie à opérer une distinction
entre les deux principes, qu'elle juge souvent irréconciliables. En l'occurrence,
c'est dans les dérives que connaissent ces deux typologies que l'on va trouver des
éléments pour les distinguer.
212. La meilleure manière de distinguer ces deux types de liberté implique de
regarder comment ils se sont exprimés concrètement à travers certains régimes et
d'apprécier les dérives qu'ils ont ont pu connaître. De son côté, la liberté positive a
tendance à s'exprimer dans des sociétés organicistes au sein desquelles on prétend
que l'individu n'atteindra la maîtrise de soi que s'il appartient à une « tribu, une
race, une Église, un État »14
. Ce sont souvent ces mêmes régimes qui estiment pouvoir
asseoir une emprise sur l'individu au prétexte que son « vrai moi » ne lui est
pas directement accessible. Cette emprise est censée aider l'individu à se libérer des
chaînes de son « moi inférieur » qui l'empêche d'atteindre l'idéal de liberté que
porte la collectivité. Il faut préciser qu'Isaiah Berlin ne jette pas l'opprobre sur la
liberté positive mais uniquement sur les dérives qu'elle a pu connaître. Il le fait
d'autant plus facilement qu'il écrivit avec le recul d'un intellectuel qui avait observé
à l'œuvre les deux totalitarismes du xxe
siècle et notamment le régime communiste,
qui incarne l'aboutissement le plus manifeste de la liberté positive.
La liberté négative, même dévoyée, ne conduit pas à nier l'individu au profit
d'un projet collectif qui le « libérerait » sous la contrainte. Parce que le postulat
qui fonde la liberté négative est profondément individualiste, l'individu est toujours
laissé libre d'agir selon son bon vouloir dans le cadre de sa sphère privée -
qui est ici étendue jusqu'à l'excès. Le risque est donc celui de l'individualisme
exacerbé qui conduit à l'atomisation de la société en raison d'une désaffection de
la citoyenneté au profit de la jouissance personnelle. Une dérive que Benjamin
Constant percevait déjà dans la liberté des modernes15
.
12. Ibid. p. 179.
13. SKINNER (Q.), « Un troisième concept de liberté au-delà d'Isaiah Berlin et du Libéralisme
anglais », op. cit., p. 16-20.
14. Ibid. p. 180.
15. CONSTANT (B.), Écrits politiques, op. cit., p. 593 ; voir aussi : ROLLAND (P.), « Les
libertés/B. Constant », MASTOR (W.), BENETTI (J.), ÉGÉA (P.) et MAGNON (X.) (dir.), Les
grands discours de la culture juridique, Dalloz, 2017, p. 451-469.

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