Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 91

LA SOCIÉTÉ, UN ESPACE PUBLIC ENTRE SPHèRE PRIVÉE ET SPHèRE POLITIQUE
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de l'article 9 de la Convention. Autrement dit, l'entreprise de conviction peut
être une entreprise de conviction laïque.
Dans un autre registre la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé en
2017 que « l'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté
de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié,
peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise [...] une clause de neutralité
interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux
sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est
appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients »84
. Cet arrêt
semble confirmer qu'une conception plus invasive - d'aucuns diraient plus liberticide
- de la laïcité prime désormais dans les espaces publics. Les velléités d'interdiction
du « burkini » sur les plages françaises démontrent, elles aussi, une
extension de l'obligation de neutralité religieuse à l'espace public. C'est, sans
compter que le Conseil d'État a annulé scrupuleusement tous les arrêtés municipaux
qui ont fait l'objet d'un recours, qui ne démontraient pas de risques avérés
de troubles à l'ordre public matériel et extérieur (voir infra).
152. Aussi est-il possible d'affirmer que l'espace public est un espace neutre,
mais ceux qui l'habitent temporairement n'ont pas à l'être. Y compris si le signe
religieux qu'ils portent démontre une prégnance de la communauté religieuse
- par essence restreinte - sur la communauté nationale, ce choix relève de leur
liberté de conscience. On ne saurait toutefois dénier qu'il existe une tendance
récente des pouvoirs publics français à neutraliser les signes religieux ostentatoires
dans l'espace public, afin de raffermir une certaine idée - normative - du
vivre ensemble.
2. Espaces publics et citoyenneté
153. De prime abord, les espaces publics ne peuvent pas être confondus
avec la sphère publique, pas plus qu'ils ne peuvent être assimilés à des espaces
politiques. Ce constat tend à être confirmé à l'aune de ce que recouvre la conception
française de la citoyenneté, qui ne trouve pas à s'exprimer dans les espaces
publics. En effet, la citoyenneté se définit en droit public français comme étant
« la jouissance et l'exercice des droits de vote et d'éligibilité exercés lors d'élections
politiques dans le cadre d'une communauté politique »85
. Des prérogatives
qui ne s'exercent donc pas particulièrement au sein des espaces publics et qui
tendent même à exclure du giron de la citoyenneté la participation de l'individu
à la vie associative.
154. Autre différence de taille, les règles qui régissent la citoyenneté, contrairement
à celles qui régissent la vie sociale, ne sont pas négatives. Il faut comprendre
par là qu'elles ne laissent pas l'individu libre de faire tout ce qui n'a pas
été proscrit par les autorités publiques. Au contraire, les règles de la citoyenneté
sont obligatoires car elles prévoient et encadrent strictement les conditions d'accès
de l'individu au corps politique et sa participation à la vie publique. Tous les
aspects de la citoyenneté sont donc régis par le droit positif, alors que la liberté
des espaces publics se déploie dans le silence de la loi. Enfin, par un effet de
miroir, la liberté civile suppose un retrait du citoyen de la sphère publique au
84. Cour de cassation, ch. sociale, 22 novembre 2017, pourvoi n° 13-19855.
85. MICHON-TRAVERSAC (A.-S.), La citoyenneté en droit public français, Paris, LGDJ, 2009,
p. 601.
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