Bibliothèque de droit social - Tome 81 - Le juge et l'accord collectif de travail - 245

LE JUGE ET L'ACCORD COLLECTIF : UN RAPPORT COMPLEXE
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dans cette hypothèse, il n'y a pas lieu de l'interpréter. Selon cette conception, c'est
en présence d'un texte obscur ou ambigu, en cas d'insuffisance du texte, que naît
le besoin d'interprétation. L'objectif est alors de révéler - de reconstruire - la
volonté du législateur, par différents moyens9
, notamment par le recours aux travaux
préparatoires. L'interprétation, selon cette conception, est la découverte du
sens du texte. La doctrine exégétique diffusait une méthode d'interprétation censée
permettre de déterminer le sens - unique, véritable et préexistant - du texte.
Elle prônait un strict attachement au texte de loi : l'interprète devait être un
« esclave enchaîné au texte »10
. L'objet de cette méthode était de garantir la sécurité
juridique en assurant la certitude du sens, et de limiter, par là, le pouvoir créateur
du juge et maintenir son rapport de subordination à la loi. En indiquant au
juge la méthode - rationnelle - à suivre pour découvrir le sens unique du texte,
sa part de subjectivité devait être limitée.
329. A cette époque déjà, existait une certaine conscience de l'inévitable rôle
. Il n'était pas nié que, potentiellement, le travail du juge puisse
créateur du juge11
ouvrir sur dimension créative mais l'on refusait de consacrer un modèle qui
reconnaissait un rôle actif du juge. C'est parce que l'on ne voulait pas que la jurisprudence
soit considérée comme une source du droit qu'aucun pouvoir créateur
n'était reconnu au juge12
. Était défendue - sur un terrain prescriptif donc - une
idée de ce que devait être le rôle du juge, et en était inféré ce que devait faire - ou
non - en termes de création.
330. C'est donc de ce modèle - mis en cause réalité dès la fin du XIXe siècle13
- qu'est issu le dogme de la subordination du juge à la loi, dogme qui œuvre
encore aujourd'hui dans les représentations.
9. L'interprétation grammaticale permet de déterminer le sens des mots, et l'interprétation
logique permet de déterminer l'esprit du texte, toujours avec un objet identique : découvrir la volonté
du législateur. L'interprétation logique est en effet guidée par la recherche de la volonté historique du
législateur. L'interprète doit faire primer l'esprit sur la lettre si la lettre n'est pas conforme à l'esprit du
texte. Le rapprochement entre dispositions légales qu'on peut relier entre elles (notamment parce
qu'elles ont le même objet), une comparaison avec la loi ancienne précédant la loi actuelle ou encore
la consultation des travaux préparatoires sont des techniques souvent mises en avant par les exégètes
pour restituer la volonté du législateur, de façon rationnelle.
10. P. Malaurie, P. Morvan, Droit civil, Introduction générale, Paris, Defrénois, 3e
édition, 2009,
p. 346.
11. Les travaux préparatoires du Code civil témoignent de la conscience que le Code ne pouvait
tout prévoir. Portalis, conseiller d'État, avançait alors : « c'est une sage prévoyance de penser qu'on ne
peut tout prévoir [...] il est donc nécessairement une foule de circonstances dans lesquelles un juge se
trouve sans loi. Il faut donc laisser alors au juge la faculté de suppléer à la loi par les lumières de la
droiture et du bon sens ». Et de rapidement tempérer : « mais en laissant à l'exercice du ministère du
juge toute la latitude convenable, nous lui rappelons les bornes qui dérivent de la nature même de son
pouvoir [...] une loi est un acte de souveraineté, une décision n'est qu'un acte de juridiction ou de
magistrature » (Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. VI, p. 358-361).
12. Voir : F. Géa, Contribution à la théorie de l'interprétation jurisprudentielle. Droit du travail et
théorie du droit dans la perspective du dialogisme, op. cit. Tome I, volume I, pp. 284-292.
13. Ce modèle de subordination du juge à la loi s'est propagé pendant un temps, le Code civil
rayonnant sans subir d'atteinte, et le modèle exégétique imprégnant les esprits. La fin du XIXe
siècle a
marqué un tournant. Le vieillissement des textes, leur éclatement, la critique de la qualité des textes
flous, à contenu variable, qui se multipliaient, ont participé à faire évoluer la représentation du rôle du
juge. Le modèle exégétique a commencé à être mis en cause dans les années 1880, alors que l'écart se
creusait entre le Code civil et l'évolution des besoins sociaux. Le modèle exégétique s'est vu reprocher
un légalisme excessif. Était progressivement admis qu'il fallait combler les lacunes de la loi. Était
dénoncé le fait que la méthode conduisait à figer le sens du texte au moment de son élaboration, le
rendant ainsi indépendant des évolutions de la vie sociale, et qu'elle tendait à accroître la subjectivité

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