Bibliothèque de droit social - Tome 81 - Le juge et l'accord collectif de travail - 341

CONFRONTATION
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que droit et justice ne doivent pas être confondus. Pierre Moor a approfondi la
distinction de façon éclairante34
. Le droit se caractérise par la compétence d'autorités
et la soumission aux textes normatifs. En effet, les conflits doivent trouver une
solution qui s'impose aux parties en litige, et ce pouvoir, pour ne pas être arbitraire,
doit être ordonné. La liberté des autorités est donc « encadrée par la logique
à laquelle les contraignent les textes normatifs »35
. Seuls sont permis les arguments
et les schémas argumentatifs prévus par la logique textuelle. Pierre Moor met en
avant que la justice, au contraire, n'a pas d'autorité ni de textes normatifs, bien
qu'elle fasse place à une abondance de discours. Il n'y a pas d'autorité, chacun peut
y apporter sa contribution. Les textes sont illimités : « aucune norme quelconque
ne permet d'en écarter a priori certains pour ne retenir que ceux qui rempliraient
des exigences déterminées ; il n'existe pas de règle de reconnaissance, contrairement
à ce qu'il en est pour les textes juridiques »36
nécessairement servir de référence. Néanmoins, le droit nourrit la justice37
. Il n'y a pas de texte qui doive
. Le droit
oblige les discours à s'organiser pour qu'ils se réalisent. Sans le droit, ces discours
se poursuivraient jusqu'à ce que la violence les fasse taire. La justice devient du
droit mis en forme dans un texte. Alors, la justice se réalise. Mais le droit n'est pas
la justice, et la justice n'est pas le droit : « [l]e droit est l'ordre de la justice, mais elle
s'y pervertit ; la justice est le désordre du droit, mais il s'y renouvelle »38
.
Pour dire la justice, le juge utilise donc la règle de droit et évite ce faisant le
trouble social. Il est « au service de la société et de sa cohésion »39
.
480. Modèle de justice procédurale et ordre juridique conventionnel. Nous
l'avons relevé, il n'existe pas de monopole étatique dans l'édiction du droit40
, et des
ordres juridiques - autres que l'ordre étatique - coexistent dans le même espace
juridique. Dans cette optique, nous pouvons affirmer que dans le modèle de justice
procédurale, la justice relève d'un ordre juridique distinct de l'ordre étatique :
l'ordre juridique conventionnel. Il nous semble utile de rappeler là encore que
« l'ordre juridique » n'est pas une réalité tangible, mais une construction intellectuelle
qui permet de « rendre compte d'une certaine perception de la réalité »41
.
Ceci étant rappelé, nous pouvons nous demander comment se caractérise l'ordre
conventionnel auquel appartient le modèle de justice procédurale.
Cet ordre possède sa propre collectivité, composée des acteurs de la justice
procédurale, c'est-à-dire ceux qui produisent la norme dans le cadre procédural42
.
34. P. Moor, Pour une théorie micropolitique du droit, PUF, Coll. Les voies du droit, 2005,
pp. 262-265.
35. Ibid., p. 262.
36. Ibid., p. 262.
37. Et les discours de justice nourrissent le droit : « [...] ils en donnent toutes les potentialités, en
dessinent toutes les virtualités. Sans eux, le droit ne pourrait pas, au-delà de sa clôture sémantique, être
un système ouvert, parce que rien ne l'alimenterait ». Ibid., p. 263.
38. Ibid., p. 265.
39. R. Libchaber, L'ordre juridique et le discours du droit, Essai sur les limites de la connaissance
du droit, op. cit., p. 232.
40. Rémy Libchaber l'a affirmé ainsi : « [...] il n'y a pas de monopole étatique dans l'édiction du
droit ; celui-ci peut naître au sein de toute collectivité quoiqu'elle ne soit pas dotée d'une quelconque
souveraineté, pourvu qu'elle soit tout de même suffisamment structurée pour être consciente d'ellemême
». R. Libchaber, L'ordre juridique et le discours du droit, Essai sur les limites de la connaissance
du droit, op. cit., p. 81.
41. G. Timsit, « L'ordre juridique comme métaphore », op. cit., p. 3.
42. Voir supra : n° 475.
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