Bibliothèque de droit social - Tome 81 - Le juge et l'accord collectif de travail - 61

L'INTERPRÉTATION JUDICIAIRE DE L'ACCORD COLLECTIF : PERSPECTIVE INTERNE
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social du texte ». La Cour de cassation reprend là - dans ses grandes lignes - le
modèle d'interprétation inspiré de l'interprétation de la loi et hérité du fameux
article de Jean-Yves Frouin sur la question87
.
L'on pourrait s'en tenir à ce guide établi par les magistrats de la Cour de
cassation. Toutefois, des interrogations subsistent. La Cour de cassation offre-telle
là une véritable description du travail interprétatif du juge ? Ce guide d'interprétation,
présentant une méthode d'interprétation, est-il réellement représentatif
du travail interprétatif du juge confronté à un accord collectif de travail ? Cette
activité judiciaire peut-elle se résumer à cette méthode d'interprétation hiérarchisée,
systématique, et dépourvue de nuances ? Il semble s'agir davantage là d'une
prescription de ce que doit être l'interprétation des actes négociés. Pour s'en assurer,
encore faut-il se livrer à un travail de décryptage, d'analyse du matériau jurisprudentiel,
pour tenter de déceler comment, réellement, le juge interprète les
conventions et accords collectifs de travail. Avant de rentrer dans cette analyse, il
nous faut apporter quelques précisions liminaires.
66. L'interprétation. Il ne s'agit pas ici de tenter de donner « la » définition
de l'interprétation, exercice impossible tant ce concept est fluide88
connait des significations multiples90
, fluctuant89
et
. Il n'est pas non plus question de faire état
des différentes et foisonnantes conceptions, acceptions de l'interprétation, ou
encore de retracer le parcours de ce concept à travers le temps et la théorie du
droit. Ce qui nous incombe ici c'est de répondre à la question de savoir ce qu'est
l'interprétation en tant qu'activité judiciaire.
L'interprétation est le « processus de la détermination du sens des règles juridiques
ou de leurs éléments »91
médiateur qui permet d'accéder au sens d'un texte92
procure (prestation) la pensée »93
. Dans cette activité interprétative, l'interprète est le
: il est « l'intermédiaire qui
. Non que le texte ne possède aucun sens prédéterminé,
mais il s'agit pour le juge interprète de le codéterminer, d'en parachever le
87. J.-Y. Frouin, « L'interprétation des conventions et accords collectifs de travail », op. cit.
88. « L'interprétation est un concept fluide, plus encore que le concept de compréhension, un
concept puissamment hétérogène. », F. Jacques, « L'interprétation à tort et à travers », in P. Amselek
(dir.), Interprétation et droit, Bruylant - Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1995, p. 27.
89. M. Villey, « Préface », Arch. Phil. Dr., n° 17, L'interprétation dans le droit, 1972, p. 4. « Rien
n'est plus fluctuant que ce terme »
90. A. Rieg, « Rapport français », Travaux de l'Association Henri Capitant, Tome XXIX,
L'interprétation par le juge des règles écrites (Journées Louisiannaises), Economica, 1978, p. 70. « Si,
dans le langage juridique, il est un terme aux significations multiples, c'est bien celui d' « interprétation ».
91. M. Troper, « Interprétation », in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture
juridique, Quadrige, Dicos poche, Lamy - PUF, 2003, p. 843.
92. L'idée de faire connaître quelque chose - ici, le sens - par un intermédiaire, fait écho à
l'étymologie même du terme « interprétation ». Ce terme est issu du latin interpretari, composé de la
préposition inter, qui signifie « entre », et du mot pres, apparenté à pretium, qui signifie « le prix ». Le
mot interprÉtatio renvoyait à un acte de courtage, d'entremise, dans les échanges économiques. Le
premier sens connu du mot interpres, qui appartenait au langage juridique, est celui d'intermédiaire,
de courtier. Ce mot s'est par la suite enrichi de significations, comme celle d' « interprète », de
« traducteur », ou de « porte-parole ». Il en ressort que c'est bien l'idée de médiation que l'on retrouve
dans ces différentes acceptions. L'interprète serait alors l'intermédiaire, le médiateur, qui reconstitue
la pensée, et donc le sens, et l'interprétation correspondrait alors à cette opération de reconstitution du
sens. Sur cette question, voir : P. Amselek, « Cheminements philosophiques dans le monde du droit et
des règles en général », op. cit., p. 422 ; F. Ost, Dire le droit, faire justice, coll. Penser le droit, Bruylant,
2007, « Retour sur l'interprétation », pp. 87-88.
93. H. Battifol, « Questions de l'interprétation juridique », in L'interprétation dans le droit,
Archives de philosophie du droit, t. XVII, 1972, p. 12.
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