Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°4-2022 - 79

CHRONIQUE INVESTISSEMENTS
retrait par la Banque centrale européenne de l'agrément de la même banque à la
demande de la Lettonie. Or, la grande chambre de la Cour a considéré au nom du
droit à une protection juridictionnelle effective que les actionnaires de la banque
pouvaient agir pour contester en son nom le retrait de l'agrément. Un tel recours
ne pouvait être laissé entre les mains du liquidateur nommé sur proposition d'une
autorité nationale ayant participé au retrait de l'agrément.
25. Le raisonnement tenu par la CJUE ne pouvait-il pas être transposé devant
le tribunal arbitral ? Dans la plupart des législations nationales, la nomination et
la révocation d'un liquidateur judiciaire sont à l'initiative d'organes ou d'agences
de l'État. De plus, la mise en liquidation judiciaire suppose qu'une société se
trouve dans une situation économique dont le rétablissement semble impossible.
Or le rôle que l'État hôte peut avoir joué dans cette situation économique sera
vraisemblablement au cœur du différend et de la procédure arbitrale. Un observateur
raisonnable peut considérer, quelles que soient les circonstances d'espèce, qu'un
liquidateur judiciaire se trouve en conflit d'intérêts apparent avec l'État hôte et ne
peut dès lors représenter la société demanderesse. Il reviendrait donc aux anciens
dirigeants de la société mise en liquidation au cours de la procédure d'en choisir
les représentants devant le tribunal. Il ne s'agit pas de dire que le liquidateur est
un organe de l'État hôte ou que certaines conduites du liquidateur sont imputables
à l'État, c'est là une question distincte qui relève du fond, mais d'admettre que la
loyauté du liquidateur envers la société demanderesse peut raisonnablement être
mise en doute. Cependant, plutôt que de reconnaître un conflit d'intérêts général
entre liquidateur judiciaire et État défendeur, le tribunal va raisonner à partir des
faits d'espèce et arriver à une autre solution.
26. Le tribunal admet qu'il est de sa compétence d'écarter un conflit d'intérêts
afin de sauvegarder l'intégrité de la procédure arbitrable (§ 97). Mais il entend
établir in concreto l'existence d'un tel conflit d'intérêts (§ 105). Il rappelle que
le cadre réglementaire letton contient de nombreuses dispositions garantissant
l'indépendance du liquidateur et qu'il est fréquent que des agences de l'État
puissent demander le retrait ou le changement du liquidateur sans que cela pose
en soi de difficulté (§ 221). Plus problématique est le fait que l'agence dont les
conduites sont au cœur du différend peut demander le retrait du liquidateur sans
fournir de motif objectif : cela place le liquidateur dans une situation délicate.
Toutefois, pour le tribunal, il ne dispose pas pour le moment d'éléments suffisants
pour considérer que le liquidateur est dépendant et plus encore sous le contrôle
de l'État défendeur (§ 227). Après examen des éléments de fait, le tribunal conclut
donc à l'absence de conflit d'intérêts entre le liquidateur et l'État défendeur hormis
en ce qui concerne la demande formée à l'encontre de la décision de la cour de
Riga nommant le liquidateur. Le tribunal reconnaît que le conflit d'intérêts est
ici évident ou manifeste (§ 225 et § 228). Mais cette décision de la cour de Riga
n'ayant été contestée que par les actionnaires et non par la banque elle-même, le
tribunal considère qu'il n'y a aucun problème pour que la banque soit représentée
par le liquidateur (§ 214 et § 220).
27. Le tribunal finit donc par admettre au vu des « circonstances particulières »
de l'espèce que le liquidateur représente la société dans la procédure arbitrale en
cours (§ 228). Pour rappel, ces circonstances comprennent le retrait du conseil
initial de la banque postérieurement à la mise en liquidation, le droit d'action
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