Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°4-2022 - 99

CHRONIQUE INVESTISSEMENTS
2. L'influence des interventions de l'État de nationalité
de l'investisseur sur l'interprétation du traité
27. L'État partie au traité qui n'est pas défendeur à l'arbitrage a parfois la
possibilité d'intervenir en tant que partie non-contestante. Une telle hypothèse est
prévue, par exemple, à l'article 37(2) du Règlement d'arbitrage du CIRDI. Aux
termes de cet article, le tribunal peut, après consultation des parties, permettre
à des tiers de déposer une soumission relative à une question qui s'inscrit dans
le cadre du différend. Il est également envisageable que le traité sous-jacent
donne d'emblée le droit à l'État partie d'intervenir à l'arbitrage. Les deux affaires
commentées illustrent chacune de ces hypothèses. Dans l'affaire Infinito Gold,
le Canada avait déposé une demande d'intervention en vertu de l'article 37(2).
Dans l'affaire Eco Oro, l'Accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie
permettait à l'État partie qui n'est pas défendeur à l'arbitrage d'assister aux
audiences et de déposer une soumission sur une question d'interprétation de
l'Accord, possibilité dont le Canada s'était également saisi 188
.
28. Dans l'affaire Eco Oro, l'intervention du Canada portait notamment
sur la portée de la clause d'exception de l'Accord. Le Canada et la Colombie
considéraient tous deux que la clause d'exception - si tant est qu'elle trouvait à
s'appliquer - avait pour effet d'exclure toute réparation.
29. Comme évoqué ci-dessus, selon la Colombie, l'article 2201(3) de l'Accord
reflétait la volonté des parties de soustraire à la compétence du tribunal arbitral
les mesures environnementales, dès lors qu'elles étaient nécessaires à l'objectif
poursuivi, qu'elles ne revêtaient pas le caractère d'une discrimination arbitraire et
injustifiable et qu'elles ne constituaient pas une restriction déguisée au commerce
international. 189
Dans son intervention le Canada, lui, soutenait que l'article 2201(3)
entrait en jeu, non pour priver le tribunal arbitral de sa compétence, mais pour
écarter la responsabilité de l'État lors de l'examen au fond. Selon le Canada, si la
mesure litigieuse entrait dans le champ de l'article 2201(3) alors, il ne pouvait y
avoir de violation de l'Accord et donc, de responsabilité étatique. Aussi, le paiement
d'une compensation financière n'était pas requis 190
. Le Canada a souligné que,
dans beaucoup d'hypothèses, cette clause ne serait pas nécessaire car l'exercice
légitime de son pouvoir réglementaire par l'État ne constituerait pas une violation
du TBI. L'exception générale de l'article 2201(3) aurait ainsi vocation à offrir un
« outil supplémentaire ou un ''filet de sécurité'' » permettant à l'État d'exercer son
pouvoir d'agir pour protéger l'environnement 191
.
30. C'est précisément l'hypothèse de l'affaire Eco Oro : le Tribunal avait
considéré que l'État avait fait un exercice légitime de ses pouvoirs de police ;
il avait néanmoins caractérisé une violation du Traité sur le fondement du droit
à un traitement juste et équitable et de la frustration des attentes légitimes de
l'investisseur.
188. Art. 827.2 de l'Accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie.
189. Eco Oro, op. cit., § 362.
190. Eco Oro Minerals Corp. c/ République de Colombie, CIRDI n° ARB/16/41, Soumission du
Canada, partie non-contestante, 27 février 2020, § 16.
191. Ibid., § 20.
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