Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 162 - Le refus du mandat impératif en droit constitutionnel français - 438

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LE REFUS DU MANDAT IMPÉRATIF EN DROIT CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS
la Chambre actuelle doit ordonner leur dépouillement. Pour conforter son raisonnement,
il cite encore le Comte d'Antraigues qui s'est prononcé en 1789 en faveur de
la réserve du pouvoir législatif au peuple. « C'est parce que les membres de l'Assemblée
constituante de 1789, jusque dans les rangs de la noblesse, professaient de tels
principes, qu'ils se faisaient un devoir d'exécuter les volontés de la nation exprimées
dans les cahiers. Pourquoi ne ferions-nous pas comme eux, puisque comme eux nous
sommes les mandataires de la nation.254 » La proposition de Barodet permettrait à la
nation, comme en 1789, de « se redresser fièrement devant ses maîtres » en faisant
« connaître ses volontés souveraines [...] c'est pour cela que je vous propose d'imiter
l'Assemblée nationale en 1789, qui inaugura ses travaux par le dépouillement des
cahiers pour y chercher la volonté de ses commettants. »
Fort de cette référence et de cette caution historique (on lui rappelle toutefois que
« nous ne sommes pas à l'école » pour faire taire ce « cours d'histoire255 »), il affirme
que « la Chambre ne sera véritablement la représentation nationale qu'à la condition
de connaître et d'exécuter loyalement les volontés de la nation » et que les professions
de foi méritent « le même respect et la même obéissance qu'autrefois. »
850. La fausseté de cette démonstration est si grossière qu'il faut s'y arrêter
avant de poursuivre. Barodet semble omettre un point essentiel : les cahiers de doléances,
auxquels il assimile les professions de foi, n'ont pas été respectés en 1789. Pire,
leur non-respect et leur suppression ont été la clé du succès de la formation des députés
en Assemblée nationale et de l'édification du système représentatif pour lequel ont
opté les députés en 1789. L'argumentation en faveur des cahiers de doléances ne peut
donc absolument pas s'appuyer sur la volonté des constituants de 1789. Or c'est ce
que fait Barodet, avec une conviction étonnante.
Stratégie politique ou méconnaissance de l'Histoire, ce discours est en tout cas
durement critiqué par le rapporteur qui lui rappelle le déroulement des évènements de
1789 et l'esprit dans lequel l'Assemblée constituante a œuvré. « Il n'est point exact,
en effet, que cette Assemblée ait solennellement décrété le dépouillement des cahiers,
qu'elle ait demandé qu'on lui présenta un rapport d'ensemble sur la nature, la portée
des aspirations et des revendications du pays...256 » Certes, les cahiers de 1789 constituent
un document précieux, digne d'être étudié, mais les députés sont arrivés à Versailles
« avec le sentiment très vif de leur responsabilité, la conception nette du mandat
qui leur avait été donné, et ils n'attendirent pas le dépouillement des cahiers pour
savoir quelle était l'attitude à prendre devant le pouvoir personnel. » Barodet se
trompe en plaçant sa proposition sous le « glorieux patronage des traditions révolutionnaires
de la Constituante, de la Législative et de la Convention. » Les cahiers
n'ont pas été le pivot de la politique révolutionnaire car « la seule Assemblée qui ait
procédé des cahiers en condamna formellement le système. » L'argumentation
de Barodet est donc attaquée car elle ne s'inscrit absolument pas dans la tradition du
système représentatif mais au contraire s'y oppose.
Au-delà de cette correction historique, cet échange nous apprend surtout que
cette proposition est bien considérée, par Barodet comme par le rapporteur, comme
l'équivalent du mandat impératif tel qu'il s'observait sous les États généraux. Il
254. JO, Chambre des députés, 12 février 1882, p. 115.
255. JO, Chambre des députés, 12 février 1882, p. 116.
256. JO, Chambre des députés, 12 février 1882, p. 117.

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