Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 162 - Le refus du mandat impératif en droit constitutionnel français - 88

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LE REFUS DU MANDAT IMPÉRATIF EN DROIT CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS
juridique, la richesse ou l'activité professionnelle. Mais puisque le Tiers état se définissait
négativement, même Charles Loyseau l'admet, le député élu appartenait nécessairement
à l'un des trois ordres.
119. Il ne s'agit donc pas seulement d'une catégorie qui détermine le fonctionnement
des États généraux. C'est une catégorie qui détermine absolument le quotidien
de la personne et décide de son statut juridique. L'individu, et le député autant que
n'importe qui, se sentait appartenir à son ordre avant d'appartenir à n'importe quel
autre groupe dans un système où « l'individu n'ad'existence politique qu'à travers
ses appartenances organiques : l'ordre, le corps, la communauté, les privilèges208 ».
La tâche du député, le plus souvent choisi parmi les siens209,n'est pas celle de défendre
seulement des intérêts extérieurs à ses intérêts propres. Le député du clergé est lié
aux intérêts des membres de son ordre par sa foi, le député de la noblesse par sa fierté,
le député du Tiers... par le sentiment de payer pour les deux autres. En se présentant
auprès du Roi, ils portent également leurs propres vœux et ils adhèrent le plus souvent
au contenu des cahiers qui vont dans le sens d'une amélioration ou d'un maintien de
leurs situations. Volonté du député et volontés des rédacteurs des cahiers coïncident.
Dans ce contexte social, le mandat impératif n'est pas seulement la transmission
de cahiers de doléances par les électeurs à l'élu, il est le support d'une rencontre d'intérêts
communs. Il peut même être envisagé que le sentiment d'appartenance à son
ordre pourrait conduire le député à se passer d'un quelconque mandat impératif
puisque ses intérêts rejoignent ceux que le groupe a à défendre. Il est en effet « supposable
qu'aux États la plupart des députés se seraient conduits à la satisfaction de
leurs baillages, sans qu'il fût nécessaire de les tenir aussi étroitement. Mais à cette
époque, on prenait malgré tout ces garanties, dussent-elles se trouver superflues210 ».
Le mandat impératif ne fait qu'offrir une forme écrite à un accord avant tout moral
mais qui sera porté de manière convaincue par le député. Il est la garantie superfétatoire
d'une obéissance évidente.
120. Il faut aussi noter l'appartenance du député aux corps, qui sont une autre
grille de lecture de la société d'Ancien régime. Emile Lousse définit le corps ainsi :
Un groupement composé d'individus accomplissant la même fonction
sociale, ayant des intérêts économiques semblables et jouissant d'un statut identique
d'ordre juridique privé, lequel groupement est doté lui-même d'un statut
juridique propre, relevant de l'ordre corporatif pour tout ce qui concerne l'organisation
intérieure et la discipline corporative, et relevant d'autre part de l'ordre
public, pour tout ce qui a trait aux privilèges politiques et aux services d'intérêt
général211.
208. HALEVI Ran, « États généraux », in Dictionnaire critique de la révolution française, Paris,
Flammarion, 1988, p. 76.
209. Même si certaines interférences d'ordres ont pu être observées (LEMARIGNIER Jean-François,
La France médiévale : institutions & société,2e éd., Paris, Colin, 2000, p. 336), il est convenu que les
députés sont choisis parmi leurs pairs. Le député du clergé est l'évêque, l'abbé, les chanoines et parfois
les curés. Pour le député de la noblesse, le principe s'impose de l'élection du simple gentilhomme ou du
baron (les grands nobles étaient rarement députés). Le député du Tiers état était choisi surtout parmi les
officiers de justice et de finances, les avocats, les notaires, docteurs en médecines, rarement les paysans
aisés (BELY Lucien, La France au XVIIe
siècle, op. cit., p. 68.)
210. PAULIAT Louis, « Tradition des cahiers électoraux », La nouvelle revue, 1882, vol. 19, p. 781.
211. LOUSSE Emile, La société d'Ancien Régime. Organisation et représentation corporatives,t. 1,
Louvain, Universitas, 1952, p. 237.

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