Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°6-2022 : À travers champs - 63

Le thème
On peut s'interroger sur les motivations d'un tel interdit : peut-être est-il fondé sur une supériorité
présumée de ceux qui vivent sur une terre riche par rapport à ceux qui cultivent une terre
pauvre ? C'est sans doute la manifestation d'un complexe de supériorité d'une classe supérieure,
comme on le rencontrait dans les unions entre familles aristocratiques. On songe au jugement
que portait la marquise de Sévigné sur ceux qui « fumaient leurs terres ». Heureusement, cette
opposition de principe de Toussaint Lumineau cédera devant l'intérêt supérieur de la continuité
de l'exploitation.
Un autre exemple moins spectaculaire est l'interdiction tacite pour la fiancée du fils infirme
d'épouser un autre homme du vivant de celui-ci. Cette règle non écrite est sans doute fondée sur
la volonté de ne pas blesser le malheureux fiance empêché par son infirmité de se marier, mais qui
ne supporterait pas qu'un autre l'épouse. La fiancée est donc vraisemblablement condamnée au
célibat à moins d'être conduite à chercher un autre époux ailleurs.
D'autres règles tenant autant au droit qu'au non-droit, relèvent du droit des successions.
La principale est la survivance implicite du droit d'aînesse. Il était évident pour le père et les
autres frères que Mathieu, l'aîné, reprendrait au départ du père la gestion de la ferme. Seul son
accident a empêché l'application de la règle. De même, est implicite la règle selon laquelle le fils
doit reprendre le même métier que son fils, comme cela a été respecté depuis des siècles. Mais
le fils aîné étant dans l'impossibilité de le faire comme cela était prévu à sa naissance et les deux
autres fils refusant de le relayer, la nécessité imposera finalement que ce soit le gendre qui prenne
leur place des fils. On peut aussi relever la conception très teintée de non-droit que se fait le père
de sa puissance paternelle.
D'autres règles tout aussi significatives existent dans le second roman. L'exemple le plus
marquant est celui de la survie de la règle de la non-dérogeance dans les familles nobles.
Le malheureux Michel de Maximieu en sera la victime consciente et résignée. Lorsqu'il apprend
la vente du domaine familial, il ne peut envisager de se voir le régisseur du nouveau propriétaire
de Fonteneilles, alors qu'il se voyait succéder à son père et exploiter les terres auxquelles il était
si profondément attaché. Il ne se voit pas non plus épouser Antoinette, la fille de celui-ci qui
l'aime et qu'il aime sans en avoir clairement conscience. Il aurait le sentiment de se vendre.
Il n'envisage pas non plus de prendre un emploi salarié au-dessous de sa condition : « Et à moi,
que me reste-t-il ? À solliciter une place d'assureur, n'est-ce pas. Avec vos relations et mon nom,
je réussirai peut-être. « Le comte Michel de Maximieu, sous-inspecteur d'assurances ». Cela
fera très bien, n'est-ce pas ». On devine dans cette réponse, à la fois l'orgueil du nom, un sentiment
exacerbé de l'honneur et un certain dédain pour les emplois inférieurs autres que ceux
de l'armée ou de la terre.
On peut trouver d'autres exemples de ces règles de non-droit à un moindre degré., telle l'obligation
morale pour un aristocrate de rembourser les « dettes de jeu d'un sous-lieutenant », comme
le reconnaît le général, ou encore le souhait pour Gilbert Cloquet de porter une belle cravate
blanche lorsqu'il assiste à la messe célébrée dans l'église de Faÿt-Ménage pour fêter son retour à
la religion. On remarquera à cet égard, pour le doyen Carbonnier, le port de la cravate est un des
exemples du non-droit.
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