Hors collection - Réforme du statut de l'entrepreneur individuel - 106

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RÉFORME DU STATUT DE L'ENTREPRENEUR INDIVIDUEL
Le sens unique de l'extension du gage du créancier vers le patrimoine personnel du débiteur peut sans
doute se comprendre au regard des objectifs de la loi. Son exposé des motifs énonce que « [l]es entrepreneurs
individuels restent [...] très vulnérables ». Et, « [s]elon une enquête IPSOS de juin 2021, réalisée
auprès de l'ensemble des travailleurs indépendants, la protection du patrimoine arrive en troisième position
dans leurs sujets de préoccupation. 78% des entrepreneurs individuels disent ainsi être préoccupés par cette
question, dont 32% qui le sont " beaucoup " . Les artisans et les plus jeunes sont encore davantage préoccupés
par ce sujet (85 % et 87%) ». Partant, l'objectif du législateur était d'assurer une protection du patrimoine
personnel à l'égard des créanciers professionnels et - afin de ne pas tarir l'accès au crédit pour
ces professionnels - d'autoriser une renonciation à la séparation instaurée. Suivant une telle logique,
l'éventuelle extension du gage des créanciers non-professionnels en direction du patrimoine professionnel
est hors de propos.
180. Critique du caractère « à sens unique » de la renonciation. - Ce point de vue peut toutefois
être regretté. Et ce pour au moins trois raisons.
D'abord, et même si cela ne concerne pas directement notre sujet, il a été relevé que la délimitation
exacte entre les sphères personnelle et professionnelle soulève de nombreuses difficultés148
. Pour les
créanciers, cela sera source d'incertitude quant à l'étendue exacte de leur gage. Or, on le sait, un
créancier incertain devient prudent. Autant l'entrepreneur individuel, s'agissant de sa sphère professionnelle,
pourra « rassurer » certaines personnes (par exemple, son banquier) via une renonciation,
autant cette même démarche est impossible concernant sa sphère personnelle.
Ensuite, et l'argument n'est que le prolongement du précédent, cela peut tarir les sources de financement
au sein de la sphère extraprofessionnelle. Il a été souligné à quel point l'accès au crédit est
important pour les entreprises. L'affirmation n'est pas moins vraie par ailleurs : le crédit est souvent
incontournable en matière d'acquisition immobilière, notamment pour acheter le bien qui assurera le
logement de la famille. Au commencement d'une activité entrepreneuriale, qui implique souvent des
sacrifices financiers, ou tout le moins une période de disette, le temps que survienne le succès, les
découverts en compte ou les crédits à la consommation permettent à l'entrepreneur et à sa famille de
vivre. Or, payer - à crédit (à découvert) - un loyer ou des achats de première nécessité, renvoie à « [d]
es droits [qui] ne sont pas nés à l'occasion de [l]'exercice professionnel »149
.L'impossibilité de principe de
renoncer à la règle énoncée par l'article L. 526-22 alinéa 6 du Code de commerce risque de mettre
l'entrepreneur individuel en porte-à-faux quant au financement de sa « vie personnelle ».
Enfin, cette difficulté sera d'autant plus importante que la loi du 14 février 2022 entend assez largement
la notion de patrimoine professionnel. Tandis que l'EIRL envisageait un « minimum », c'est-àdire
les seuls « biens, droits, obligations et sûretés » nécessaires à l'activité150
, le nouveau statut concerne
tous les « éléments » utiles à l'activité professionnelle. Comme cela a pu être résumé : « [l]e nouveau
patrimoine professionnel devrait être plus consistant et logiquement plus " riche " que l'actuel patrimoine
affecté de l'EIRL »151
. Du point de vue des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l'occasion de
l'exercice professionnel, leur gage sera d'autant réduit. Et aucune renonciation ne peut ici intervenir.
181. Tempérament. - Le législateur envisage cependant deux tempéraments à cette règle. Il
conviendra uniquement de les mentionner, puisqu'ils excèdent le cadre de la présente étude. D'une
148. V. les développements, dans cet ouvrage, des professeurs Renaud Mortier et Elsa Guégan.
149. C. com., art. L. 526-22 al. 6.
150. C. com., art. L. 526-6 al. 2 et R. 526-3-1.
151. F. Pérochon, « Professionnels indépendants en difficulté... », préc., nº 6.

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