Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 164 - La doctrine des « questions politiques » - 68

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LA DOCTRINE DES « QUESTIONS POLITIQUES »
102. L'aspect le plus singulier des motivations des décisions françaises résiderait,
en ce sens, dans l'exposition du droit applicable au cas d'espèce. Afin de démontrer
que sa décision est juridiquement contrainte par des règles antérieures posées, le
juge français fonde sa motivation sur ce qu'il est commun d'appeler en France les
sources du droit. Le terme, récurrent dans le langage des juristes français, ne fait toutefois
que très rarement l'objet d'une réflexion86.Il n'est pourtant pas anodin : il soustend
l'idée selon laquelle seraient identifiables les origines ou « les pôles émetteurs du
Droit »87. La référence à la notion de sources aurait un aspect résolument rassurant
pour l'observateur, lequel serait alors conduit à admettre que l'action du juge se limiterait
à un rôle d'application d'un « instrumentum »88 lequel contiendrait déjà la
norme applicable. En ce sens, l'invocation de la source permet au juge de se prémunir
de toute explication quant au travail interprétatif qu'il a pu effectuer afin de dégager la
norme, c'est-à-dire, la signification concrète de l'énoncé juridique. La brièveté des
décisions françaises tient certainement à cette absence d'explication, laquelle produit
un effet remarquable sur le lecteur des décisions. À en croire les motivations du juge,
la norme qu'il applique est indissociable de la source qu'il invoque et, par conséquent,
ce qu'énonce le juge n'est rien d'autre que ce que dit la loi ou la Constitution89.
103. Toutefois, à la lecture de la jurisprudence française en général et de celle
des juridictions administrative et constitutionnelle en particulier, « l'incertitude foncière
du critère des sources »90 semble difficile à masquer. D'apparence garante
d'une révérence des juges vis-à-vis de l'œuvre législative ou constitutionnelle, la référence
aux sources semble en réalité aisément manipulable par les juges. Certaines
techniques prétoriennes permettent d'ores et déjà de révéler le caractère malléable
des sources. Parmi ces principes, la règle de l'économie des moyens constitue un
exemple clair de la mainmise des juges sur l'usage des sources du droit. En effet, ce
principe qui, comme le rappelle Frédéric Dieu, « ressort plus de la coutume que de la
règle de droit »91, permet au juge d'effectuer une sélection parmi les moyens des parties
qu'il souhaite examiner. Plus précisément, dès lors qu'un moyen de légalité
externe suffit à démontrer l'illégalité de l'acte, le juge pourra s'en satisfaire pour prononcer
l'annulation de l'acte et ce, sans qu'il lui soit nécessaire d'examiner les autres
moyens soulevés par les parties. Cette pratique, au même titre que l'identification par
le juge lui-même des moyens d'ordre public92, constitue une technique d'évitement
qui, bien qu'officiellement justifiée par un souci de célérité de la justice, peut
86. DEUMIER P., REVET T., Entrée « Sources du droit (problématique générale) », in ALLAND D.,
RIALS S., Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1431 : « Classiquement utilisée, l'expression
n'est jamais étudiée pour elle-même mais pour ses éléments constitutifs. ».
87. Ibid.
88. BARANGER D., « Comprendre le ''bloc de constitutionnalité'' », op. cit., p. 109.
89. Ibid.
90. DEUMIER P., REVET T., Entrée « Sources du droit (problématique générale) », op. cit., p. 1432.
91. DIEU F., « La règle de l'économie des moyens doit-elle paralyser le pouvoir d'injonction du juge
administratif? », AJDA, 2009, nº 19, p. 1082.
92. S'ils sont supposés être « (...) déterminésjurisprudentiellement enfonction de l'importance attachée
à la censure de certains comportements », force est de constater que les critères d'une telle reconnaissance
ne sont pas clairement identifiables. Dès lors, « il ne faut pas croire que tous les comportements
particulièrement répréhensibles donnent matière à des moyens d'ordre public ». Le professeur Chapus
mentionne à titre d'exemple la méconnaissance des droits de la défense, laquelle ne fait pas partie des
moyens d'ordre public. Cf. CHAPUS R., Droit du contentieux administratif, Montchrestien, Domat droit
public, 2008, 13e
éd., p. 820.

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