Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 23

DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
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d'un mode d'organisation décentralisé. Pas davantage ne peuvent-elles plus
aujourd'hui s'expliquer, comme à l'époque du mandat français, par une simple
tolérance d'un pouvoir central étatique, qui en aurait temporairement autorisé
le maintien. Tout au contraire, c'est au schéma inverse que correspond
l'approche plus ou moins consciemment défendue par les principales forces
politiques libanaises : c'est au bon vouloir des communautés « historiques »
du Liban que l'État lui-même devrait d'exister. Par conséquent, l'ordre juridique
formé par cet État serait un ordre juridique dérivé, résultant d'un désir,
ou d'un simple besoin, de coopération des ordres juridiques originaires que
ces communautés continueraient de représenter.
Autrement dit, c'est un peu à l'Union européenne que, dans cette optique,
l'État du Liban paraît le plus ressembler, si audacieux que puisse de prime
abord sembler un tel rapprochement (4). Et c'est en tout cas par la formule
fameuse du général de Gaulle relative au projet de construction européenne
que s'expliquent le mieux la plupart des difficultés de fonctionnement
qu'éprouve la République libanaise aujourd'hui : « On ne fait pas d'omelette
avec des œufs durs ».
Car s'il s'agit d'une simple fédération de communautés, les pouvoirs de
l'État, si étendus soient-ils, ne sont alors pour elles la traduction que d'une
compétence d'attribution : c'est des communautés qu'il les tient, bien plutôt
que des citoyens libanais eux-mêmes, rassemblés dans une véritable nation.
Voilà déjà pourquoi leur exercice ne peut obéir qu'à la règle du consensus :
loin de permettre l'expression d'un rapport d'autorité direct entre l'État et ses
ressortissants, chacune des manifestations de ces pouvoirs, non seulement ne
doit jamais froisser les sentiments communautaires de ces derniers, mais reste
toujours subordonnée à l'assentiment des principales communautés.
Et voilà également pourquoi les réformes sont si difficiles à concevoir et,
a fortiori à entreprendre en matière de statut personnel des Libanais. Car on
a vu que ce domaine est considéré par les communautés religieuses comme
leur étant exclusivement réservé, et qu'en conséquence les seules évolutions
envisageables sont celles que, sous la pression éventuelle de leurs propres
membres, elles décident librement de consacrer, à destination uniquement de
ces derniers (5). On ne s'étonnera donc pas du mauvais vouloir que leurs représentants
au Parlement manifestent à l'égard de tout ce qui peut porter atteinte
à leur indépendance. C'est ainsi, en particulier, que si elles se sont acquittées
(4) Ce rapprochement est audacieux parce qu'à la différence de l'État libanais, la
construction européenne est encore loin d'avoir atteint le point à partir duquel il serait
permis de considérer qu'elle correspond à un ordre juridique véritable : v. Heuzé V.,
« L'arrêt de la Cour constitutionnelle d'Allemagne du 22 mai 2020 : une revanche de
l'État de droit sur le complexe du Gros Coco », D. 2020, p. 1534.
(5) Pour une illustration d'une semblable évolution au sein de la communauté sunnite,
v. Ghamroun S., « Effets d'État. Les juges des enfants, les tribunaux de la charia
et la lutte pour la famille libanaise », thèse Paris-Saclay, 2016.
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