Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 24

22
DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
de l'obligation qui leur était faite par l'article 4 de l'arrêté n° 60 L.R., de
soumettre leur statut « à l'examen des autorités gouvernementales [...] pour
obtenir [leur] reconnaissance » en tant que « communautés historiques » (6),
aucun « acte législatif », que le même arrêté prévoyait pour « entériner ces
statuts », après les avoir éventuellement purgés de « toute disposition contraire
à l'ordre public » n'a encore pu être adopté.
Dans ces conditions, les justifications que l'on peut proposer aux interventions
de l'État en la matière sont toujours extrêmement fragiles.
La première à avoir été imaginée se fonde sur la nature confessionnelle
des communautés historiques libanaises. De cette circonstance, il a été
déduit que les compétences de celles-ci avaient pour raison d'être de garantir
le respect des seules règles religieuses, si bien qu'elles ne pouvaient faire
obstacle à l'adoption par l'État d'une législation de droit civil pour trancher
des questions couvertes par des règles communautaires dépourvues d'un tel
caractère.
Tel est le raisonnement qui explique notamment le domaine qui a été attribué
à la loi du 23 juin 1959 sur les successions : alors que ses concepteurs
avaient à l'origine souhaité la rendre applicable à l'ensemble des Libanais,
elle ne concerne finalement que « la succession des non-mahométans », parce
qu'à la différence des communautés musulmanes, dont le droit des successions
dérive du Coran, les règles que suivaient auparavant les communautés
chrétiennes étaient à leurs propres yeux de nature profane.
Mais cette analyse, parfaitement défendable en soi, n'est cependant pas
compatible avec l'approche fédérale de la République libanaise qui est ici
envisagée. Car si l'État libanais ne dispose que de compétences d'attribution,
peu importent les raisons pour lesquelles les communautés lui ont refusé le
pouvoir d'intervenir dans les domaines qu'elles se sont réservés. Or, il n'est
pas interdit de penser que c'est précisément de cette approche que résulte le
blocage de la réforme de la loi de 1959, dont le projet remonte déjà à plus de
20 ans : dès lors que chacune des communautés non musulmanes estime que
le droit des successions relève de sa propre compétence, il est très compréhensible
qu'elle refuse de faire dépendre sa modification d'une discussion et
a fortiori d'un accord des autres communautés.
Le second fondement qui est le plus souvent proposé aux interventions de
l'État est déduit de l'article 9 de la Constitution, qui proclame la liberté de
conscience et lui attribue un caractère « absolu ».
De ce texte il résulte indiscutablement que nul ne peut au Liban se voir
imposer d'adhérer aux convictions religieuses de la communauté dont il est
membre. Un citoyen maronite, par exemple, est donc nécessairement libre
de se convertir à la religion musulmane, comme il est libre de se déclarer
(6) Cette obligation a été réitérée par la loi du 2 avril 1951, qui fixait un délai
d'un an pour son exécution.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023
Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023

Table des matières de la publication Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023
