Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 64

62
DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
Plusieurs historiens ont montré comment la politique fiscale française dans
les domaines de l'éducation, de l'industrie et de l'agriculture était inadéquate
par opposition à ses dépenses beaucoup plus importantes dans « le dispositif
répressif de l'État » (8). Des études récentes ont de plus montré que l'éducation
n'était pas désintéressée, mais qu'elle contribuait à la création d'une
classe moyenne, qui servait comme réservoir de bureaucrates et de professionnels
indispensables au maintien du mandat. L'éducation était donc nécessaire
au maintien de l'Empire mais ironiquement, comme nous allons le démontrer,
les forces mandataires n'ont pas encouragé les États naissants du Levant à
investir directement dans ce domaine. Malgré ce choix politique, le secteur de
l'éducation fut très dynamique pendant le mandat, mais comme le soutient cet
article, c'est le secteur privé qui en était le socle, ce qui a fini par énormément
exacerber les inégalités communautaires.
La littérature, cependant, ne nous donne pas une idée concrète des choix
fiscaux et des politiques économiques ainsi que de leurs implications. C'est
pourquoi cet article examine les budgets publics (recettes fiscales et dépenses)
au Liban - ainsi que dans les quatre États syriens créés par le mandat. Pour ce
faire, nous reconstruisons des comptes fiscaux compréhensifs - qui incluent
aussi bien la dépense civile que militaire - à travers les rapports annuels à
la Commission permanente des mandats que les autorités françaises étaient
tenues de publier (« Rapports » par la suite) (9). Nous examinons aussi les
politiques de l'éducation au Liban. Pour ce faire, nous mettons en tableau
diverses mesures de la performance du système éducatif, en nous appuyant
également sur les données fournies au fil des ans dans les divers Rapports.
Nos résultats empiriques révèlent clairement trois conclusions :
- le niveau de taxation dans les États du Levant fut très élevé, plus important
que dans toutes les colonies françaises ;
- les autorités françaises ont utilisé une partie de ces revenus pour financer
l'armée et le dispositif sécuritaire, évinçant ainsi le financement des infrastructures,
des services sociaux, et du support à l'économie ;
- l'éducation et la santé devinrent les prérogatives d'entreprises privées et
missionnaires, une politique favorisant un système éducatif orienté vers l'éducation
des chrétiens, avec une population musulmane très mal desservie.
(8) Hemsley Longrigg S., Syria and Lebanon under French Mandate, 1958,
Londres-New York, Oxford University Press ; Salibi K. S., The Modern History of
Lebanon, 1965, Londres, Weidenfeld and Nicolson, p. 165 à 168 ; Owen R., « The
Political Economy of Grand Liban, 1920-70 », in Owen R. (dir.), Essays on the Crisis
in Lebanon, 1976, Londres, Ithaca, p. 23 à 24 ; Khoury P. S., Syria and the French
Mandate: The Politics of Arab Nationalism 1920-1945, 2014, Princeton, Princeton University
Press.
(9) Ministère des Affaires étrangères, Rapport à la Société des Nations sur la
situation de la Syrie et du Liban, années 1924 à 1938, Imprimerie nationale (rapports
consultés à la Bibliothèque nationale de France à Paris).
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023

Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023

Table des matières de la publication Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023