L'illusion de la souveraineté de l'État libanais et l'ambiguïté de la politique publique par Jihane Sfeir Professeure à l'Université libre de Bruxelles Directrice de la Maison des sciences humaines (MSH-ULB) Dès sa naissance en 1920 sous le mandat français, l'État libanais représente une exception au Moyen-Orient et plus largement dans le monde arabe. Construit sur le principe de la distribution des pouvoirs selon les appartenances communautaires pour construire une démocratie consensuelle, il donne pendant un temps l'illusion d'un modèle idéal du vivre-ensemble et d'une bonne gestion de la vie publique. À l'origine de ce système confessionnel, il y a bien sûr l'héritage ottoman et surtout l'expérience de la Moutasarrifyya (1) du Mont-Liban (1861-1915) qui plante les graines du futur Liban tout en légitimant l'influence et l'ingérence des puissances étrangères dans les affaires ottomanes (2). Ce système répond aussi à la volonté de la France de maintenir un équilibre confessionnel favorisant la présence chrétienne et un projet politique d'un Liban faisant le pont entre l'Occident et l'Orient. Cette singularité libanaise sera également bien exprimée par des membres des élites libanaises. C'est en particulier le cas du député, économiste et essayiste Michel Chiha, un des auteurs de la Constitution en (1) Le statut de la Moutasarrifiyya est unique pour son époque et pour la région, et pose les bases du système confessionnel adopté par les Français durant le mandat. Le gouvernement du Mont-Liban de 1861 a mis en place un conseil administratif consultatif composé proportionnellement de représentants de six communautés siégeant aux côtés des walis turc et chrétien. (2) Salibi K., Une maison aux nombreuses demeures. L'identité libanaise dans le creuset de l'histoire, 1989, Naufal. REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023