Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 82

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DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
L'un des auteurs de cet article a montré comment, dans le cas de la médecine
et de la psychiatrie, par exemple, la concurrence entre les différentes
écoles missionnaires de médecine était « productive » dans le sens où elle a
conduit à l'expansion de l'éducation par la création de nouvelles écoles, de
chaires, de postes universitaires, de conférences, de cours et même de nouvelles
formations cliniques, de réseaux de professionnels, de nouvelles élites
professionnelles, de services médicaux, etc. (38) Bien que proche des centres
de pouvoir, une littérature récente montre comment certaines de ces institutions
religieuses avaient leurs propres priorités et agendas, et étaient capables
d'exercer une certaine indépendance dans la prise de décision. Il suffit de
mentionner peut-être la concurrence entre les différents groupes missionnaires
français, qui avaient perdu leur capacité à gérer des écoles en France, suite
aux nouvelles lois de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État.
Des cadres conceptuels similaires ont été appliqués à la santé de manière
plus générale. Les institutions liées aux soins de santé (hôpitaux, pharmacies,
écoles de médecine, etc.) ont été examinées dans le cadre du prosélytisme
religieux, de la mission civilisatrice, de la modernisation, de la bienveillance
paternaliste ou de la rivalité entre diverses puissances impériales (39). Et
pourtant, encore une fois, il est plus utile de considérer ces institutions comme
le produit de divers agencements, intérêts et acteurs locaux (élites intellectuelles
et professionnelles - dont certaines ont été formées et diplômées dans
ces écoles, notables, politiciens, figures religieuses locales et gens ordinaires)
et étrangers, et surtout de circonstances locales (troubles sociopolitiques et
guerre). C'est peut-être ce qui caractérise finalement l'exception libanaise, à
savoir un territoire surpeuplé, où, comme le disait Louis Roché, ambassadeur
de France au Liban en 1956, « on sent tant de mains étrangères prêtes à tricher,
les moindres mouvements sont épiés » (40).
Si l'on cherche dans son histoire les principales spécificités du Liban qui
ont eu un effet important sur son développement moderne - économique,
social et politique -, son système éducatif serait un candidat de choix.
Fragmenté dès sa naissance et négligé par les ottomans, ce système a été
en grande partie construit pendant le mandat français. Il se composa dès lors
de systèmes scolaires largement parallèles et séparés, un pour chacune des
communautés religieuses. Ce système a dû jouer un rôle central dans la préservation
et le renforcement de l'organisation sectaire qui gouverne le pays
(38) Ibid., p. 49 à 76.
(39) V. par ex. Chiffoleau S., « Entre bienfaisance, contrôle des populations et
agenda international : la politique sanitaire du mandat français en Syrie et au Liban »,
Bulletin canadien d'histoire de la médecine 2013, vol. 30, n° 2, p. 1 à 30 ; Hanssen J.,
« War, Health, and the Making of Municipal Beirut », in Fin de Siècle Beirut: The
Making of an Ottoman Provincial Capital, 2005, Oxford, Clarendon Press ; AbiRached
J. M., 'Aṣfūriyyeh..., op. cit.
(40) Cité in Abi-Rached J. M., 'Aṣfūriyyeh..., op. cit., p. 49.
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