Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 85

DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
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économique et, en même temps, le grossissement de certaines administrations
pour, dit-on souvent, donner un « fief » à chaque communauté religieuse (6).
C'est cet ensemble baroque, ce libéralisme autoritaire si l'on peut dire, qui
se trouve aujourd'hui au cœur des griefs adressés au Liban. Le « mal » dont
souffre ce pays serait donc bien - pour reprendre l'idée-force développée par
Nadi Abi Rached dans ce dossier de la Revue du droit public - « un mal libanais,
bien libanais ».
De fait, il paraît certain que la fidélité au libéralisme et à l'économie de
marché, constante du xxe
siècle libanais (7), ait été renforcée comme jamais,
au moins dans les textes, en 1990. Ce libéralisme était voulu, déjà, lors de la
rédaction de la Constitution de 1926, en particulier par l'intellectuel et banquier
Michel Chiha (dont la mémoire et quelques formules fortes sont convoquées
à satiété (8)). Il était voulu, aussi, à l'indépendance du pays (1943), par
exemple lorsqu'il s'est agi « d'axer essentiellement la politique sur l'idée de
faire du Liban un réceptacle idéal des dépôts bancaires » (9). Et c'est encore
à lui que les libanais s'en remettent en fin de guerre civile. Suivant les déclarations
officielles de l'époque, l'« un des atouts majeurs du Liban sur la place
internationale est son économie libre de marché que seule la concurrence
régule réellement » (10). Surtout, l'économie de marché devient constitutionnalisée
dans son principe. Elle figure en toutes lettres dans les accords de paix
signés en Arabie saoudite (1989), puis dans la nouvelle Constitution en 1990.
« Le régime économique est libéral et garantit l'initiative individuelle et la
propriété privée » : par cette phrase, le Liban confortât comme jamais auparavant
son affiliation à la doctrine économique libérale (et devance les européens,
qui écriront la même phrase dans le traité de Maastricht en 1992 (11)).
C'est en effet une conviction solidement implantée dans cette région du
monde - comme d'ailleurs en Europe - que les oppositions politiques, religieuses
ou communautaires, s'apaiseront grâce à l'économie de marché. Tel
était tout le pari d'un Jean Monnet optimiste : la construction d'un marché
(6) V. l'excellente enquête du journaliste Benjamin Barthes, publiée in Le Monde
25 nov. 2019 : « Liban. Dans les rouages de l'économie de l'ombre ».
(7) Le Liban a tout de même connu des tentatives d'économie planifiée dans les
années 1960. V. G. Corm, Politique économique et planification, 1966 ; S. Gemmayel,
« Évolution du budget libanais », POEJ 1962, spéc. p. 46 et s.
(8) Par ex. : « toute la politique économique de ce pays doit être orientée vers la
liberté » (M. Chiha, Propos d'économie libanaise, Trident, 1965, p. 142).
(9) M. Gemmayel, « Le public et les banques », conférence 30 mars 1955, in
Gemmayel, Pionnier de la planification au Liban, Beyrouth, 2000, p. 340.
(10) M. Ziade (assistant du ministre de l'économie), « Le retour à l'économie de
marché », Commerce du Levant 28 janv. 1993, p. 14.
(11) V. aujourd'hui l'art. 119 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
qui enjoint à chaque État membre de respecter le « principe d'une économie de marché
ouverte où la concurrence est libre ».
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023
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