Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 89

DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
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législation, peine dans ces conditions à assurer sa fonction de limite, de séparation
claire entre le licite et l'illicite, de point de repère stable (28).
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Mais ce serait à notre avis se méprendre que d'attribuer aux seuls gouvernements
libanais récents, postérieurs à la guerre civile, la responsabilité
intellectuelle d'un tel état du droit. Il y a là au contraire une tendance lourde
de l'histoire du pays, une tendance bien antérieure aux réformes précipitées
et contradictoires de l'après-guerre civile. Le mélange du libéralisme économique
et de l'autoritarisme administratif, la négociation du respect de la loi,
l'évitement des juges, tout était en germe, sinon en vigueur, lors de la période
fondatrice de l'État - les années 1920 -, lorsque la France exerçât au nom de
la Société des Nations un mandat sur le territoire libano-syrien. Si bien qu'il
faudrait à notre avis remettre encore sur le métier cette « quête perpétuelle
des origines » du système libanais (29), et la reprendre tout spécialement dans
ces aspects administratifs et économiques. Riche d'enseignements pour le
droit aujourd'hui en vigueur en Orient, cette quête est aussi, pour les juristes
français, une précieuse réflexion sur leur propre système et les vertus de son
exportation.
Il est saisissant de constater combien le mandat français (1920-1943) a
engendré une législation grosse de ses similitudes avec celle maintenant
décriée. Les ambitions générales du mandat - on va y insister - avaient
quelque chose à voir avec celles de l'après-guerre civile ; et certains régimes
juridiques étaient pour ainsi dire identiques à ceux en vigueur aujourd'hui.
On lit en effet, dans ce passionnant Recueil des actes administratifs du HautCommissaire
français en Orient, lequel recense des milliers d'« arrêtés »
organisant les États libanais et syriens, et qui ont donc le plus souvent un
contenu constitutionnel ou législatif, des mesures qui paraissent avoir été
redécouvertes par le législateur libanais contemporain. On y lit, par exemple,
de multiples possibilités de négocier avec l'administration le respect de la loi :
« l'administration conserve le droit de transiger avec les contrevenants, soit
avant, soit après jugement, en substituant aux pénalités réglementaires une
amende variant en suivant les circonstances de la saisie » (30). On y lit également
des structures administratives réunissant des compétences considérables,
normalement séparées. Tel était le cas au Port de Beyrouth : un « Service
(28) Sur cette idée, v. not. A. Supiot, La souveraineté de la limite, in Mondialisation
ou globalisation. Les leçons de Simone Weil, Collège de France, 2019, p. 221.
(29) N. Abi Rached, « Les institutions libanaises. Formation, dérèglements et
réformes », RDP 2-2022, p. 1546 et s.
(30) Arrêté 265/S, 9 sept. 1929, Bull. éco. trimestriel des pays sous mandat français
1929, n° 3, p. 570 : art. 1. V. déjà arrêté n° 844, 10 mai 1921, sur le régime des exportations
et importations et circulation des marchandises, Rec. des actes administratifs
du Haut-Commissaire 1921, vol. 2, p. 133.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023

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