Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 94

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DOSSIER - LES POLITIQUES PUBLIQUES : UN CHOIX LIBANAIS ?
concepts juridiques (57), soit que, entre 1920 et 1943, il ait été administré par
la France, soit que les Communautés économiques européennes, puis l'Union
européenne, le Fonds monétaire international ou encore la Banque Mondiale
aient tour à tour promu les réformes économiques.
Et, parmi ces influences, la plus déterminante a été sans doute le mandat
français. C'est alors qu'est conçue et mise en œuvre une politique économique
ad hoc, empreinte, nécessairement, de certains présupposés sur l'Orient et son
« goût et génie des affaires », misant sur le libéralisme économique et l'administration
forte pour dépasser les oppositions communautaires, et testant peutêtre
là, aussi, des projets pour l'Europe (58). Or tout se passe comme si ces
aspirations et présupposés du Mandat français avaient durablement insufflé
certaines caractéristiques dans la législation libanaise, caractéristiques dont les
Libanais n'ont pas su, ou pas voulu, se défaire.
Comment comprendre la persistance de telles similitudes ? Est-ce une coïncidence
? Est-ce en raison du modèle que le droit mandataire constitue encore,
peut-être, pour le législateur contemporain ? Est-ce une influence plus implicite,
ni véritablement subie ni véritablement voulue, un mimétisme juridique en
quelque sorte, qui s'expliquerait parce que ce droit mandataire structure encore
l'esprit des pouvoirs publics libanais ? L'étude du droit libanais incite à tout le
moins le juriste français à une forme de retour sur soi-même : il met en cause
les mérites de notre propre droit, et les conditions aussi bien que l'opportunité
même de son exportation (59) ; et il met en garde, aussi, les institutions internationales
dans leurs réformes des pays en crise - réformes qui produisent des
effets bien après la fin de la crise en question. Il y a, au fond, quelque chose de
vrai dans cette apostrophe récurrente de la romancière Dominique Eddé : « Le
Liban accuse le monde » (60). Car au Liban, le monde - ou à tout le moins
l'Occident et la France - observe ce qu'il a contribué à façonner.
François Blanc
Professeur de droit public, Université Paris-Panthéon-Assas
(57) V. not. D. Chevallier, « Lyon et la Syrie en 1919. Les bases d'une inter-xxe
siècle, Seuil, 2016, p. 248.
vention », Revue historique 1960.279. V. aussi M. Sakatni, « Les mondes ruraux », in
L. Dakhli (dir.), Le Moyen-Orient. Fin xixe
(58) V. encore, à ce sujet, la lettre que le Haut-Commissaire français Henri Jouvenel
adresse le 9 janvier 1926 à Aristide Briant, alors président du Conseil : il s'agit de
concevoir une « formule (...) adaptant aux nécessités du Proche-Orient les méthodes
dont se réclame aujourd'hui en Europe la République française » (Documents diplomatiques
du mandat, L'Harmattan, 2012, t. III, p. 821).
(59) Sur ce point, à propos du droit administratif transposé en Orient, cf. l'étude de
référence de Michel Durupty : « Transposition et mutation du droit administratif français
», Proche Orient. Études juridiques 1973.143.
(60) « Le Liban, un peuple ? » entretien sur France culture, 19 nov. 2019. De même :
D. Eddé, « Le naufrage du Liban, c'est bien plus que celui d'un pays », Le Monde
17 juill. 2020 ; « Le Liban, c'est le monde à l'essai », Le Monde 18 août 2020.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023
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