Le législateur peut-il imposer aux médias l'indépendance de leur rédaction ? par Didier Truchet Professeur émérite de l'Université Paris 2 Panthéon-Assas Le sujet de l'indépendance de la rédaction des médias fait penser à une expression d'Edgar Faure en 1956 à propos du statut du Maroc : « l'indépendance dans l'interdépendance ». Elle résume la difficulté d'un sujet qui oppose les intérêts financiers des propriétaires à la volonté des journalistes d'exercer librement leur mission d'information. Mais il serait simpliste dans une analyse juridique de réduire la question à une opposition frontale entre la légitimité entrepreneuriale et la légitimité journalistique : il s'agit au contraire de les concilier à la lumière de considérations contradictoires. Aujourd'hui, cette conciliation est parfois réalisée par des accords entre les propriétaires et les journalistes, qui donnent à ces derniers (dans la presse écrite du moins), réunis en association ou société de rédacteurs, des garanties d'indépendance. Cela résulte de la liberté qu'ils ont d'organiser leurs relations. La loi n'y fait évidemment aucun obstacle. Mais de tels accords sont peu nombreux. Comme l'indique son titre, le présent article se borne à rechercher si le législateur est juridiquement fondé à passer de l'indépendance facultative à l'indépendance obligatoire envers les propriétaires (1). La réponse dépend (1) Les propriétaires peuvent être très divers. Parce que les médias d'information politique ou générale sont en première ligne, on songe généralement à des investisseurs privés dont les moyens financiers permettent de créer ou d'acquérir des services de médias disposant d'un lectorat ou d'une audience importants. Mais il ne faut pas oublier les nombreuses petites structures dont des journalistes (qui en sont parfois les fondateurs ou les descendants de ceux-ci) sont les propriétaires, notamment dans des domaines techniques. Même dans de grands organes de presse, les journalistes peuvent posséder une part du capital : le Pôle indépendance (dont la Société des rédacteurs est membre) détient ainsi 25 % du capital du Groupe Le Monde. Par ailleurs, l'État REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023