Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023 - 28

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DOSSIER - INDÉPENDANCE ET LIBERTÉ DES MÉDIAS
règles tendant à la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression
socioculturels, de veiller à ce que leur application ne limite pas la liberté
d'entreprendre dans des proportions excessives au regard de l'objectif constitutionnel
du pluralisme ». L'inconvénient de telles proportions est que l'on
ne connaît jamais à l'avance leur seuil d'excessivité. Il semble cependant que
l'indépendance de la rédaction le franchirait.
Car - et c'est la deuxième raison - elle ne serait en fait ni nécessaire ni
efficace pour protéger le pluralisme et serait donc insuffisante pour justifier
l'atteinte qu'elle porterait à la liberté d'entreprendre. Pas nécessaire, car le
pluralisme est déjà très protégé par la législation française en vigueur. Dans
notre pays, où la diversité des médias est forte, toutes les opinions trouvent
où s'exprimer. Si la ligne éditoriale d'un média change du fait de la volonté
des actionnaires ou d'une cession de leurs parts, les opinions qu'il exprimait
trouveront aisément un autre support d'expression : le pluralisme ne serait
pas menacé en pratique. La situation des médias audiovisuels soumis à autorisation
de l'ARCOM diffère de celle de la presse écrite mais la conclusion
est la même. C'est le rôle de l'autorité de régulation que d'assurer le pluralisme
lors de la délivrance des autorisations et elle le fait notamment au vu
du projet éditorial des candidats. Il lui revient spontanément ou parce que la
rédaction a attiré son attention, de veiller au respect par le média des obligations
qui figurent dans la convention qu'il a négociée avec elle, et d'user du
large éventail de mesures de pression, de coercition et de sanction dont elle
dispose à cette fin. L'indépendance de la rédaction ne serait pas non plus un
moyen efficace de protéger le pluralisme : rien ne garantit qu'elle en userait
en ce sens car elle pourrait tout aussi bien tenter d'imposer au propriétaire un
changement de ligne éditoriale.
La troisième raison est que la loi serait difficilement compatible avec
le droit de l'Union européenne. Certes, l'exposé des motifs du projet de
règlement de l'Union européenne sur la liberté des médias précité souligne
qu'il « vise à résoudre une série de problèmes affectant le fonctionnement
du marché intérieur des services de médias et les activités des fournisseurs
de tels services » et qu'il « complète les règles de concurrence de l'UE, qui
ne traitent pas directement les conséquences que les concentrations sur les
marchés pourraient avoir sur le pluralisme et l'indépendance des médias ».
Mais tout le texte se situe dans une logique de marché reposant sur la liberté
d'entreprendre : son article 4 dispose que « les fournisseurs de services de
médias ont le droit d'exercer leurs activités économiques dans le marché intérieur
sans restrictions autres que celles autorisées par le droit de l'Union ».
Le contrôle des concentrations qu'il prévoit au nom du pluralisme concerne
davantage les « fournisseurs d'une très grande plateforme en ligne » que les
médias traditionnels dont il entend protéger la viabilité économique. Envers
ces derniers, ce contrôle sera probablement moins exigeant que celui qui existe
déjà en France. Comme on le verra plus loin, le projet n'envisage jamais
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023
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