Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023 - 33

DOSSIER - INDÉPENDANCE ET LIBERTÉ DES MÉDIAS
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des garanties fortes de liberté envers les employeurs : définition du journaliste
professionnel (C. trav., art. L. 7111-3), carte d'identité professionnelle
(C. trav., art. L. 7111-6), sans même parler de la « niche fiscale et sociale »
dont ils bénéficient. L'aspect le plus emblématique de ce statut privilégié par
rapport aux salariés de droit commun est la « clause de conscience » de l'article
L. 712-5 qui permet à un journaliste de rompre son contrat de travail
sans préavis et avec les indemnités de droit, notamment en cas de « changement
notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce
changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son
honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux ».
La protection du libre exercice du métier a été récemment renforcée : la loi
n° 2010-1 du 4 janvier 2010 (L. 1881, art. 2) protège « le secret des sources
des journalistes [...] dans l'exercice de leur mission d'information du public ».
La loi Bloche précitée (L. 1881, art. 2 bis) donne à tout journaliste « le droit
de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de
signer un article, une émission, une partie d'émission ou une contribution dont
la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il
ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle
formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou
de sa société éditrice ». Ces garanties s'appliquent à tous les médias.
Mais elles sont strictement individuelles et leur exercice peut en fait être
humainement très difficile et lourd de conséquences pour la carrière de ceux
qui les mettent en application. Faut-il aller plus loin en passant des garanties
individuelles à des garanties d'indépendance accordées collectivement à la
rédaction ? La réponse n'a rien d'évident. Renforcer la protection des journalistes
en se plaçant sur le terrain du droit du travail paraît la seule justification
juridiquement acceptable de l'indépendance obligatoire des rédactions. Mais
cela ne va pas de soi. En droit, il s'agit d'une question classique de partage du
pouvoir entre un employeur et une catégorie particulière de salariés. Il appartient
au législateur de trouver l'équilibre qui respecte les règles constitutionnelles
et européennes en vigueur. Il est difficile d'aller plus loin que ce propos
bien plat, tant que l'on ne sait pas quel contenu précis aurait une indépendance
de la rédaction et quels droits celle-ci pourrait opposer au propriétaire. En
tout cas, la loi devrait dire si tous les rédacteurs seraient tenus d'adhérer à
une société de rédacteurs, condition essentielle à sa représentativité et à sa
légitimité, mais difficile à insérer dans le droit français du travail. En fait,
une indépendance forte de la rédaction comporte les risques graves de crise
et de blocage qui ont déjà été relevés et dont l'actualité donne des exemples.
Le point crucial est l'attitude du propriétaire employeur. Il doit pouvoir exercer
ses prérogatives légitimes. S'il n'admet pas que la rédaction prétende lui
imposer des décisions qui iraient à l'encontre de ses ambitions de conquête
du marché, de sa stratégie d'entreprise ou de ses intérêts économiques, il peut
être tenté de « jeter l'éponge » avec toutes les conséquences que cela aurait
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023
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