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DOSSIER - INDÉPENDANCE ET LIBERTÉ DES MÉDIAS
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été rudement sapées. Avec la constitution d'oligopoles digitaux, l'organisation
de l'expression publique a été transférée de l'État aux plateformes. L'espace
informationnel n'obéit ni aux normes étatiques ni à la régulation spontanée
des utilisateurs. Il est soumis aux lois qui dictent aux plateformes leur propre
modèle économique : attirer le plus grand nombre d'utilisateurs et maintenir
le plus longtemps possible leur attention afin de fabriquer une audience chèrement
vendue aux annonceurs. Cette stratégie commerciale commande d'amplifier
les contenus attractifs en particulier ceux qui clivent, souvent nourris
de fausses informations. « Les idées fausses étant des faits vrais » (3), cette
opinion publique fragmentée et polarisée mène à l'élection de nouveaux parlements
dont procèdent de nouveaux gouvernements qui s'emploient à leur tour
à casser les piliers des systèmes démocratiques (4). On peut ainsi soutenir, sans
risque d'exagération, que lutter contre l'emprise des plateformes sur l'information
constitue un enjeu démocratique de toute première importance.
Ce combat passe entre autres par le droit, notamment par le droit de
l'Union européenne, particulièrement active ces dernières années en matière
de régulation des plateformes numériques. Dès lors que les réseaux sociaux et
les moteurs de recherche constituent les principaux vecteurs de l'information,
des mesures sont prévues pour que sur ces plateformes, les médias traditionnels
restent accessibles et visibles (5). C'est l'objet, entre autres, du projet
de règlement de la Commission européenne, le Media Freedom Act (MFA)
rendu public en octobre 2022 qui, après avoir été amendé par le Conseil et
le Parlement, est actuellement discuté dans le cadre du trilogue institutionnel.
La Commission fonde son intervention sur les exigences du marché intérieur
(6). On peut cependant estimer que cette législation d'harmonisation, par
(3) La paternité de la formule est discutée, voir notamment, Surel Y., « L'État et
l'opinion », Pouvoirs, 2021 n° 2, p. 59 et s.
(4) Expliquant les procédés de manipulation de l'information sur les réseaux
sociaux, Chavalarias D., Toxic Data, comment les réseaux manipulent nos opinions,
2022, Flammarion. V. également, au sujet des interactions entre les médias traditionnels
et les réseaux sociaux, Benkler Y., Faris R. et Roberts H., Network Propaganda,
2018, Oxford University Press.
(5) Le MFA vise les services de médias, définis comme ceux fournissant « des programmes
ou publications de presse au grand public, par quelque moyen que ce soit, dans
le but d'informer, de divertir ou d'éduquer, sous la responsabilité éditoriale d'un fournisseur
de service de médias », c'est-à-dire en droit français d'un directeur de publication
(MFA, art. 2, 1, projet Commission).
(6) Il existerait, selon la Commission, un marché intérieur des services de médias
justifiant l'intervention de l'Union européenne sur le fondement de l'article 114 du
TFUE, au titre du rapprochement des droits nationaux pour le bon fonctionnement du
marché. Ce fondement juridique est discuté, certains États, estimant notamment qu'une
compétence d'appui moins intrusive, fondée sur l'article 167 du TFUE (compétence de
l'UE dans le domaine de la culture) serait plus appropriée, voir notamment sur ce point
la résolution n° 36 adoptée par le Sénat français le 11 décembre 2022.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023

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