Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023 - 73

DOSSIER - INDÉPENDANCE ET LIBERTÉ DES MÉDIAS
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dont l'activité éditoriale est entourée de garanties. Elle ne concerne que les
médias indépendants à l'égard des gouvernements et dont les rédactions sont
placées à l'abri des intrusions de l'actionnaire (ajoute les projets retenus par
le Conseil et le Parlement). Toute la question, bien sûr, sera de déterminer
comment attester la satisfaction de ces conditions. Sur ce point, les versions
de la Commission, du Conseil et du Parlement divergent (31).
Dans le projet de règlement, la protection attribuée aux médias est cependant
limitée. Il ne s'agit que d'une garantie procédurale : lorsqu'au nom de
ses conditions générales d'utilisation, une plateforme entend supprimer la
présence d'un média (ou restreindre sa visibilité, ajoute le projet adopté par
le Parlement), elle est tenue au préalable de motiver sa décision (en laissant
un délai à l'éditeur pour répondre, précise le texte du Parlement et celui du
Conseil). En cas de désaccord, la réclamation de l'éditeur fait l'objet d'un traitement
interne prioritaire ou, selon le Parlement, d'un recours devant l'autorité
de régulation nationale.
La liberté des médias est ainsi comprise dans l'acception étroite du droit
pour les médias de ne pas être arbitrairement empêchés d'atteindre leur public.
À condition de procéder de façon régulière, les plateformes restent libres de
restreindre totalement ou partiellement la visibilité des contenus produits par la
presse, la télévision ou la radio. Les conditions générales d'utilisation demeurent
la loi à laquelle les médias sont tenus de se plier, la procédure contradictoire
prévue par le MFA n'étant destinée qu'à améliorer leur mise en œuvre.
Surtout, en ne traitant que des décisions individuelles de modération, le
MFA laisse de côté la cause systémique de l'effacement des médias de l'espace
numérique, à savoir l'algorithme, configuré pour exposer l'utilisateur
aux contenus dont il restera captif. Dans le monde hors ligne, la visibilité des
médias fait l'objet d'une réglementation précise ; dans l'espace numérique, elle
est laissée à la discrétion des plateformes, qui conservent la pleine maîtrise de
l'algorithme. Tout en s'attachant, dans le droit fil de la tradition européenne, à
soumettre les médias à des exigences d'indépendance destinées à garantir leurs
qualités éditoriales et à travers elles, leur contribution au débat public, le Media
Freedom Act retient ainsi une conception négative de leur liberté, une liberté
quasiment nue, dépourvue de dispositifs destinés à en assurer l'effectivité, si ce
n'est le droit pour les médias de ne pas être supprimés irrégulièrement.
Cette retenue s'explique. Le modèle d'affaires et la croissance fulgurante
des plateformes reposent entièrement sur leurs dispositifs de recommandation
et de présentation des contenus. La réglementation de l'algorithme provoquerait
un coup d'arrêt. Cette considération économique déterminante s'appuie
aussi sur des justifications juridiques susceptibles d'impressionner.
(31) Pour l'heure, les différentes versions du texte s'en remettent à une autocertification
auprès des plateformes, dont les modalités de contestation varient selon
les projets.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023

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