Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023 - 75

DOSSIER - INDÉPENDANCE ET LIBERTÉ DES MÉDIAS
1479
et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée », avait
considéré le Conseil constitutionnel (33). Les plateformes sont ainsi parvenues
à faire admettre (34) qu'il était moins attentatoire à la liberté d'expression de
les laisser modérer les contenus, selon leurs propres conditions d'utilisation
(les standards de la « communauté », selon Facebook ; « les règles voulues par
les utilisateurs du monde entier », pourrait-on comprendre) que de leur imposer
de retirer ceux qualifiés d'illicites par les lois nationales (de « simples règles
locales » (35)). La réglementation pure et dure, consistant à assujettir les plateformes
à des obligations de résultat, comme le retrait de certains contenus, a
été bannie.
C'est ainsi que s'est imposé un autre modèle de régulation, présenté comme la
seule forme d'encadrement étatique acceptable au regard de la liberté d'expression,
la régulation par la compliance.
Arrivé en Europe dans les années 2010, ce nouveau mode de régulation
consiste à assujettir les opérateurs à des exigences procédurales et de transparence
- à des obligations de moyens, en somme - dont le respect est contrôlé
par une autorité publique. Dans le secteur numérique, cette « autorégulationsupervision
» fut introduite en 2016 par le Règlement général sur la protection
des données (RGPD). En France, le modèle de la compliance a été retenu
par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation
de l'information, qui impose aux plateformes la mise en place d'un certain
nombre de dispositifs (signalement, transparence des algorithmes, identification
de l'origine des contenus (36)) sous la surveillance de l'ARCOM,
dépourvue pourtant de pouvoir de sanction à ce titre (37). Plus récemment
encore, à l'échelle européenne, la régulation par la compliance a été retenue
par le Digital services Act du 19 octobre 2022 (DSA) (38), qui encadre
l'activité de modération des plateformes (ce n'est pas son seul objet, on y
reviendra) à l'égard des contenus illicites. Motivation ex-post des mesures de
restriction, procédure interne de règlement des réclamations relatives à ces
loi Avia (Netzwerkdurchsetzungsgesetz, 1er
(33) Cons. const., 18 juin 2020, 2020-801 DC.
(34) L'Allemagne cependant, qui a adopté un dispositif proche de celui retenu par la
sept. 2017), ne s'est pas laissé impressionner.
(35) Concernant toutefois les contenus terroristes et pédopornographiques, une obligation
de retrait est imposée aux plateformes, sur injonction de l'autorité publique (et
non pas à leur initiative).
(36) L. 22 déc. 2018, art. 11.
(37) L'ARCOM dispose d'un pouvoir de recommandation (recomm. n° 2019-03,
15 mai 2019) et publie périodiquement des bilans sur les mesures adoptées par les
plate formes, v. Bilan annuel publié en nov. 2022, et Retour sur les trois années d'application
de la loi du 22 déc. 2018, en ligne sur le site de l'ARCOM (L. 30 sept. 1986,
art. 17-2, issu de la loi du 22 déc. 2018).
(38) Le législateur français avait anticipé le texte européen avec la loi du 24 août
2021.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023

Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023

Table des matières de la publication Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023