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D'UN POUVOIR L'AUTRE
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À PROPOS DE LA CHARTE DE DÉONTOLOGIE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE
nichée dans le for intérieur, affaire de conscience individuelle (7). Si cette
intériorité échappait à l'empire du droit, elle n'apparaissait pas comme une
affaire exclusivement individuelle, dès lors que l'improbation sociale ou professionnelle
pouvait accompagner les errements de l'introspection morale (8).
L'adoption de la charte aurait donc alors eu pour seule vocation d'extérioriser
et objectiver des principes destinés à guider les juges administratifs dans
l'exercice de leurs missions : indépendance et impartialité, devoir de réserve
et de discrétion, prévention des conflits d'intérêts, encadrement des activités
accessoires (9).
Cette élévation au rang de conduite d'ensemble de valeurs autrefois individuelles
avertit pourtant d'une mutation fondamentale. Car dès lors que
l'on enserre la conduite d'un groupe humain, « petit » ou « grand », il est
désormais question d'un pouvoir que Maurice Hauriou décrivait déjà au
début du xxe
siècle comme « nécessaire à la cohésion et au salut » d'une
communauté (10). L'effet cohésif de cette formalisation d'une conscience
professionnelle collective a d'ailleurs été immédiatement salué. Ce satisfecit
offrant par ailleurs d'oublier bien vite la fronde suscitée par l'intention
initiale d'y soustraire les membres du Conseil d'État (11). Affranchi de
la déontologie des autres fonctionnaires d'État, cet ordre idéal des choses
propre à la juridiction administrative symbolise donc une nouvelle manière
de faire corps (12).
Parce qu'elles contreviennent à cette satisfaction affichée, les conséquences
délétères de cette collectivisation ont beaucoup moins été explorées (13). La
glorification de la cohésion interne, dont est porteuse cette déclamation de
principes et bonnes pratiques, n'empêche pas la détérioration de l'image des
juridictions administratives par ceux qui leur sont extérieurs. Cette déontologie
suscite tout d'abord un discours sarcastique sur la nécessité de « faire
(7) V. par ex. Labetoulle D., « La déontologie des magistrats administratifs »,
in « Dossier : La déontologie », préc., p. 73 : « Avant la lettre, comme pour la prose
de M. Jourdain, il y avait bien là une initiation et une pratique de la déontologie. Mais
d'une déontologie conçue et pratiquée comme une affaire individuelle, un peu comme
la morale ».
(8) Ibid.
(9) Sur tous ces points, nous renvoyons notamment à la thèse de Ragimbeau L.,
La déontologie du juge administratif, op. cit.
(10) Hauriou M., Principes de droit public, 1910, rééd. 2010, Dalloz, Bibliothèque
Dalloz, p. 136.
(11) V. not. Ragimbeau L., La déontologie du juge administratif, op. cit., p. 34.
(12) Gonod P., in Gonod P. et Vigouroux C., « À propos de la charte de déontologie
des membres de la juridiction administrative », AJDA 2012, p. 876 ; Orizet H.,
« Considérations sur le collège de déontologie de la juridiction administrative »,
RDP 2019, n° 3, p. 609 et s.
(13) V. toutefois Gaudemet Y., « La déontologie, un pouvoir masqué », RDP 2021,
n° 4, p. 895.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023

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