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ANNE-LAURE GIRARD
l'éducation des juges administratifs » (14). Si les membres du Conseil d'État
assurent, en réponse, que la charte est prioritairement destinée « aux jeunes
collègues » (15), les rapports des jurys sur les concours de recrutement dans
le corps des conseillers de tribunaux administratifs et de cours administratives
d'appel attestent pourtant chaque année de la maîtrise des questions déontologiques
par les nouvelles recrues (16). Cette déclamation de la déontologie,
qui absorbe l'homme jugeant dans la conscience collective de la justice administrative,
orchestre ensuite une dilution de la morale et de la responsabilité
individuelles (17). Non sans ironie, la charte provoque le rappel de ce que la
réflexion personnelle demeure la meilleure boussole ou de ce que le scrupule
individuel « vaudra toujours mieux que toutes les théories » (18). En outre, cette
déontologie apparaît bien davantage corporative ou adossée à un code, le Code
de justice administrative (CJA), que fonctionnelle, professionnelle ou institutionnelle.
Si certains se sont enorgueillis de la largesse des destinataires de la
charte - stagiaires, assistants de justice, agents en mobilité, agents ayant quitté
la juridiction administrative (19) - tous ont tu son caractère discriminant. La
charte ne s'étend pas aux juridictions administratives spécialisées, pas même à
la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), régie par le Code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), si bien que c'est une conception
singulièrement réductrice de la justice administrative qui est ici promue.
Loin d'être anecdotique, cette restriction de la déontologie aux seules juridictions
administratives générales témoigne de ce que, sous les apparences de la
nouveauté, ce pouvoir émergent s'arc-boute sur les traditions, celles du pouvoir
du supérieur hiérarchique et de la discipline. À trop s'appuyer sur les ressorts et
réflexes des juristes, ce pouvoir s'est condamné, dès l'origine, à être annexé par
le droit de l'État. C'est ce mouvement qui sera brièvement retracé ici.
I. - Genèse d'un pouvoir
Dans son Précis de droit constitutionnel, Maurice Hauriou rappelait que
« la doctrine du pouvoir de droit est une construction juridique commode,
destinée à pourvoir à beaucoup d'inconvénients, c'est une sorte de protection
(14) Orizet H., « Considérations sur le collège de déontologie de la juridiction administrative
», art. préc., p. 609 et s.
(15) Vigouroux C., in Gonod P. et Vigouroux C., « À propos de la charte de déontologie...
», art. préc., p. 875.
(16) V. Rapport du jury sur les concours organisés pour le recrutement direct
dans le corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel, 2023, p. 29 ; 2022, p. 28 ; 2021, p. 29 ; 2020, p. 25 ; 2019, p. 29 ; 2018, p. 25.
(17) V. Gaudemet Y., « La déontologie, un pouvoir masqué », art. préc., p. 895 et s.
(18) Labetoulle D., « La déontologie des magistrats administratifs », art. préc., p. 82.
(19) Gonod P. et Vigouroux C., « À propos de la charte de déontologie... »,
art. préc., p. 877.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 6-2023
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