Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 6-2023 - 88

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ANNE-LAURE GIRARD
La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits
et obligations des fonctionnaires érige une puissance jusqu'alors informelle en
authentiques compétences juridiques. Elle fait tout d'abord émerger au monde
du droit la compétence du vice-président du Conseil d'État d'adopter une
charte énonçant les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres
à l'exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative (44). En
validant a posteriori la charte, en couvrant du sceau du droit un pouvoir de
fait, elle confirme une intuition livrée par Maurice Hauriou dans ses Principes
de droit public : « Pour n'être pas du droit public d'État, le droit disciplinaire
n'en est pas moins du droit, à telles enseignes que parfois le droit public
s'annexe des provinces entières de droit disciplinaire » (45). Les membres du
Conseil d'État reconnaissent enfin que la charte manquait jusqu'alors d'une
base législative (46). La décision prise, en vertu de sa nouvelle habilitation par
le vice-président le 14 mars 2017, d'adopter une deuxième version de la charte,
élaborée une fois encore avec l'appui d'un groupe de travail, se fond entièrement
dans le carcan du droit : pluralité de visas, rappelant tant le fondement
du pouvoir que les consultations désormais obligatoires, articles. En se ralliant
au formalisme du droit, quand il en empruntait déjà largement le langage (47),
le vice-président du Conseil d'État malmène toute croyance en l'internormativité
(48) et dissout la spécificité des normes sociales et corporatistes d'origine.
Parallèlement, la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations
des fonctionnaires offre une reconnaissance législative et un statut légal au
collège de déontologie (CJA, art. L. 131-4 et L. 131-5). Alors que l'autorité
de cet organe spontanément généré par l'institution était initialement garantie
par l'élection de ses membres et par le choix de placer à sa tête une figure
tutélaire du Conseil d'État - Daniel Labetoulle, ancien président de la section
du contentieux -, la loi confère un fondement juridique à ses anciennes
(44) V. L. n° 2016-483, art. 12 : « Le chapitre Ier
du titre III du livre Ier
du Code de
justice administrative est ainsi modifié [...] Art. L. 131-4. Le vice-président du Conseil
d'État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une
charte de déontologie énonçant les principes déontologiques et les bonnes pratiques
propres à l'exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative. »
(45) Hauriou M., Principes de droit public, op. cit., p. 142.
(46) Labetoulle D., « La déontologie des magistrats administratifs », art. préc., p. 74.
(47) « C'est bien là que la déontologie apparaît comme parallèle au droit dont
elle grime le vocabulaire. Elle court le péril d'un vin se corrompant de trop d'eau ».
Beignier B., « Les déontologies : certitude et doute », in « Dossier : La déontologie »,
Justice et cassation 2022, p. 135.
(48) V. par ex. sur ce point Romano S., L'ordre juridique, 2e
éd., 1975, rééd. 2002,
Dalloz ; Ost F. et Kerchove (van de) M., « De la pyramide au réseau ? Vers un nouveau
mode de production du droit ? », RIEJ 2011, n° 1, p. 1 à 82 ; Delmas-Marty M.,
Le pluralisme ordonné. Les forces imaginantes du droit (II), 2006, Seuil ; Bernheim E.,
« Le " pluralisme normatif " : un nouveau paradigme pour appréhender les mutations
sociales et juridiques ? », RIEJ 2011, n° 2, p. 1 à 41.
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