Manuel - Introduction au droit européen - 3e - 173

Les principes humanistes : l'Europe des droits de l'homme
se voulaient distants, tant à l'endroit de la religion que des « libres opinions ».
Oublieux de la longue histoire de l'oppression religieuse, et des crimes commis
en nom divin, une idéologie contemporaine a voulu faire disparaître le
droit deselibérer de la religion, ou du moins de s'en émanciper, en protégeant
uniquement la liberté de s'y soumettre. L'observation du contentieux
montre que les menaces de la religion ont été plus nombreuses dans la
période contemporaine que celles qui ont été dirigées contre elle. Mais la
jurisprudence de la Cour a esquissé une protection, certes limitée, contre la
religion dominante - là où elle a laissé sans aucune bride l'opinion qui
domine (herrschende Meinung).
Ainsi, la Cour a-t-elle protégé les députés qui refusaient de prêter serment
sur les Évangiles (CEDH, 18 févr. 1999, nº 24645/94, Buscarini et al. c/ SaintMarin),
comme le droit de ne pas révéler sa religion à l'occasion de la prestation
de serment orthodoxe prévue par le droit hellénique (CEDH, 21 févr.
2008, nº 19516/06, Alexandridis c/Grèce). Le droit de ne pas communiquer
publiquement un éventuel lien religieux est la conquête principale de cette
jurisprudence, qui condamne l'obligation d'inscrire la foi dans la carte d'identité
(CEDH, 2 févr. 2010, nº 21924/05, Sinan Isik c/Turquie). Ce principe est
d'autant plus essentiel que son expression est tardive et étonnement limitée.
La Cour, en effet, ne garantit que le droit de ne pas répondre, pas la possibilité
de questionner sur la religion. Et elle va jusqu'àadmettre qu'un État, l'Allemagne,
rattache sur la base de ses investigations une personne à un culte
dont celle-ci ne se réclame pas, dans le but d'orienter la recette fiscale de
l'impôt cultuel étatique (CEDH, 17 févr. 2011, nº 12884/03, Wasmuth c/Allemagne).
Dans une autre affaire concernant l'Allemagne, le juge a accepté
qu'une halte-garderie protestante puisse licencier une employée dont elle
aurait découvert l'appartenance à une autre communauté religieuse (CEDH,
3 févr. 2011, nº 18136/03, Siebenhaar c/Allemagne). Lorsqu'on connaît la place
des structures confessionnelles dans l'organisation sociale allemande, on
mesure l'exception religieuse instituée : cuiuslabor, eiusreligio.
Mais c'est sur le terrain de la liberté d'opinion que les limites de la jurisprudence
sont les plus fortes. Les éléments essentiels de l'idéologie capitaliste
dite de la « démocratie libérale » ont été progressivement érigés en acquis
scientifiques « objectifs ». Même les théories les plus extravagantes, comme
celle de la «main invisible » du marché arrangeant par sa puissance astrale
ce que la raison ne permettrait pas de réaliser, sont devenues dogmes infaillibles,
enseignés à l'école (avec évaluation à la clé, pour ceux qui n'auraient
pas compris), étalés à la télévision, sondés dans tous les concours administratifs,
professés à l'université.
La quasi-disparition des philosophies marxiste et anarchiste est la meilleure
illustration : les amoureux de la liberté ont traqué et expulsé des institutions
tous ceux qui trahissaient des idées un tantinet marxistes, au nom de
la protection de la liberté que les « communistes », quand ils ne mangeaient
pas les enfants, étaient réputés nier ; des « libertaires » ont été épargnés, et on
peut encore les étudier dans des réserves. Là où les Soviétiques ont échoué, la
« démocratie libérale » a réussi : le contrôle total, capillaire des opinions,
publiques et privées, à l'école et en famille, dans les médias et dans
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