Manuel - Introduction au droit européen - 3e - 197

Les principes humanistes : l'Europe des droits de l'homme
journaliste, membre d'une association ou d'un syndicat, etc. Certaines dispositions
de la Convention européenne en effet ne bénéficient qu'aux nationaux
dans leur relation avec leur État. Le droit aux élections libres ou le droit à
accéder à son territoire, en particulier, sont des droits du national, respectivement
à participer à l'élection du corps législatifde son État et à entrer dans le
territoire de cet État - on comprend que seulement les nationaux puissent se
dire victimes de leur violation. Mais c'est là l'effet des règles de fond, et non
d'une condition de recevabilité.
Si l'on ne peut pas exclure, négativement, les personnes morales, les groupements
et les étrangers du bénéfice de la qualité de victime, il reste à déterminer,
positivement, comment l'identifier. La reconnaissance de la qualité de
victime, en effet, semblerait impliquer une appréciation du fond du dossier
pour savoir si, oui ou non, une violation a eu lieu et si elle a été subie par le
requérant. En réalité, au stade préliminaire de la recevabilité, ce qu'il importe
de démontrer est que le requérant peut raisonnablement se prétendre victime
d'une violation. Il y a là une appréciation prima facie dans ces deux versants
: on peut raisonnablement alléguer qu'une violation a eu lieu, et on peut
raisonnablement alléguer qu'on en est victime. Cet examen qui correspond à
l'appréciation de l'intérêt spécial dans la tradition civiliste, a fait l'objet d'une
jurisprudence extensive de la Cour européenne des droits de l'homme aussi
critiquée que mal comprise, sous les espèces de ce qu'on peut appeler par
commodité la « théorie du risque ».
La première hypothèse visée est celle dans laquelle le requérant risque
d'être affecté par une violation « abstraite ». L'exemple topique est celui de la
législation réprimant les pratiques homosexuelles entre adultes mâles
consentants. Ces législations ont survécu en Europe jusqu'à une époque tardive.
Il est arrivé qu'une personne à qui la loi n'avait pas été appliquée se
plaignede cequ'elle le pouvait à chaque instant. C'est l'affaire Dudgeon,précitée
(CEDH, 22 oct. 1981, nº 7525/76, Dudgeon c/Royaume-Uni). Dans l'affaire
Norris, en revanche, un requérant a agi contre un État au titre d'une
législation qui ne lui avait pas été appliquée et dont il avait été allégué, par
l'État défendeur, qu'elle ne faisait plus l'objet d'application du tout (CEDH,
26 oct. 1988, nº 8225/78, Norris c/Irlande). Dans les deux espèces, la Cour
européenne a admis la recevabilité des requêtes en constatant le risque
auquel les requérants étaient exposés du fait de leur orientation sexuelle.
Cettejurisprudence a été critiquéecar mal comprise. En réalitécen'est pas
le risque qui est sanctionné mais une violation consommée : la pression exercée
par la législation dans une sphère de la vie privée à l'intérieur de laquelle
il était défendu à l'État d'intervenir (la vie privée et familiale protégée par
l'article 8 de la convention). La loi en tant que jugement de valeur et pression
immatérielle sur la personne homosexuelle l'affectait déjà et en faisait déjà
une victime.
La seconde hypothèse concerne le cas où le requérant est exposé à un
risque de violation. On est désormais au cœur de la jurisprudence abondante
relative à l'éloignement des étrangers. Face à une décision de reconduite à la
frontièreou à unemesured'expulsion dirigées contre des personnes qui ont
des attaches familiales anciennes et profondes avec les États qui entendent
197
Manuel - Introduction au droit européen - 3e

Table des matières de la publication Manuel - Introduction au droit européen - 3e
